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Rentrée littéraire

ALLER EN PAIXUne rentrée littéraire, c’est l’occasion de plonger avec délectation dans des premiers romans. Et vous savez quelle appétence j’ai pour ces derniers ! Parmi les 517 romans publiés pour cette rentrée littéraire hivernale, on compte 66 premiers romans dont « Aller en paix », de Ludovic Robin.

Trentenaire, Ludovic Robin a suivi des études de philosophie. Originaire du Lot, il vit aujourd’hui dans le Finistère où il est en charge de l’entretien des rives du canal de Nantes à Brest. Un parcours atypique pour un homme qui signe là un premier roman fort, extrêmement sensible.

L’histoire ? Elle nous conduit en Savoie. Là, dans un hameau isolé, Les Plastres, un homme replonge dans son passé, dans les deux décennies qu’il a partagées avec Lily. Sa camarade d’école est devenue sa compagne et la mère de ses trois enfants.

Aujourd’hui le couple n’existe plus. Le narrateur a refait sa vie, révisé ses attentes. Mais il cherche toujours à comprendre le pourquoi de la rupture, son mécanisme insidieux. Il est élagueur, elle a élevé leurs enfants et travaille en appoint  avant de reprendre ses études pour devenir infirmière.

Il est fort et protecteur. Travaille sans relâche. Elle est fragile, mélancolique et trop dépendante de ses médicaments. Autour d’eux, les montagnes. Un milieu dur. Et les lignes de failles apparaîtront au fil des années, des vicissitudes de la vie. Malgré l’amour.

Un jour, Lily et ses deux petits ont un accident de la route. Fatalité ou conséquence des médicaments ? Le narrateur sait désormais qui sa compagne a besoin de lui. Jusqu’où ?

Un portrait sensible d’un couple qui se délite, d’un amour qui ne résiste pas. Celui, sans limite, d’un homme envers sa femme. Une écrite dense, très travaillée qui concourt à l’introspection du narrateur.

Extraits

 Pages 17-18 :« Quand j’ai commencé à me ronger les sangs, Lily portait Paul dans son ventre, envieuse de ma vocation qu’elle n’arrêtait pas de comparer à la sienne. Elle se voyait mère, juste mère cet hiver-là, notre second et dernier aux Plastres, or mère elle l’était si peu disait-elle, dès que son manque de confiance la rattrapait, tout juste si elle se rendait compte qu’elle avait des enfants. Provocation qui n’en était pas une mais me mettait hors de moi tant je la savais épuisée et bagarreuse, présente sur tous les fronts à la fois. Et quand aux soirs de fatigue nous nous entretenions de ma prétendue liberté, en nous gardant de parler trop fort de peur de réveiller Thibaud qui ne dormait que d’un oeil, et que Lily se triturait à cause d’un vieux projet de concours qu’elle avait pris à bras-le-corps cet hiver-là, avec toutes ces phases de découragement qu’un tel effort implique, l’envie me prenait de lui dire la vérité, toute la vérité concernant ma prétendue vocation. Non, je ne vivais pas dans les arbres. Non, je n’étais pas ce Couillu qui fait ce qu’il dit et qui dit ce qu’il fait, car moi aussi régulièrement, je doutais dans la vie. Qu’est-ce que je doutais ! Je bouillais, pour être exact ; je fulminais intérieurement. Mais voilà, d’une part je ne voulais pas l’accabler avec mes propres soucis, d’autres part mes doutes, à coup sûr, étaient moins crochus que les siens. Car de longue date j’avais pris les devants, moi,  je m’étais préparé à l’ennui de la vie. C’était d’abord ça, ma vocation : le refus de dire des mots que je n’avais pas envie de dire, le refus de subir des gens que je n’avais pas envie de subir, parents, camarades de classe, clients, voisins, chacun sa clique. »

Page 191 : » “C’est une intellectuelle, ricanait Marianne dès que je descendais, elle nous prend de haut”, ce qui était faux car André et Marianne restaient les grands-parents et de ce point de vue Lily continuait de compter sur eux. Et aussi parce que malgré la faiblesse et le manque de caractère manifestés par André Lily aimait toujours son père, dont la bonhomie effaçait tout. Elle aimait toujours son père mais elle n’aimais plus sa mère, et l’amour qu’elle vouait encore à son père pâtissait du manque d’amour qui l’éloignait de sa mère, car André et Marianne faisaient toujours bloc à l’horizon de Lily, ils étaient les parents. Pour aimer la personne à part entière qu’était André il eût fallu qu’il cessât d’être son père, il eût fallu le séparer de sa femme à coups de marteau et de burin, emmener Marianne au loin, pour toujours. »

Page 278 : « Et j’avais beau savoir que j’étais blessé et que ma blessure pensait à ma place, il y avait désormais ce soupçon logé en moi qui heure après heure devenait plus lourd, plus ramifié : à savoir que sevrée du Nembutal la vraie Lily était fade, inconsistante ; que ses récits n’étaient que du vent et que je m’étais trompé sur les ressorts secrets comme sur la poussière de la route; que des années durant j’avais aimé un leurre, un mirage engendré par le vide et l’ennui : éblouissement d’une âme, un beau jour, qui détestait les vivants, par une âme plus douce gorgée de chimie. »

« Aller en paix », de Ludovic Robin, Editions du Rouergue, 21,80€.

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