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Rentrée littéraire

GIRLS OK

Elle n’a que 27 ans et vient de publier un premier roman extrêmement prometteur. Emma Cline est l’une des bonnes surprises de cette rentrée littéraire.

Avec « The girls », la jeune femme, qui vit à Brooklyn à New-York, signe un roman qui nous plonge, de manière à peine déguisée, dans le quotidien de Charles Manson, peut-être le plus connu des criminels américains.

L’homme a une trentaine d’années, à la fin des années 60, quand il créé « La famille », une communauté, largement constituée de jeunes femmes. Vols et trafic de drogues assurent le quotidien.

Puis, à l’été 1969, Charles Manson commanditera plusieurs meurtres dont celui, resté dans les annales, de la jeune femme enceinte de Roman Polanski, Sharon Tate qui, avec quatre de ses amis, mourra sous les coups d’une certaine Susan Atkins notamment, décrite comme la plus cruelle des filles de « La famille ».

 

 

Charles Manson, condamné dans un premier temps à la peine de mort, a vu sa peine commuée en prison à vie. Il est aujourd’hui âgé de 73 ans.

EMMA CLINEEn s’inspirant de cette histoire, Emma Cline raconte l’histoire d’Evie Boyd, personnage totalement fictif, une ado de 14 ans qui s’ennuie entre ses parents séparés et sa copine un peu tarte. Avec laquelle elle finit par se fâcher d’ailleurs.

Elle fait alors la connaissance d’un groupe de filles plus âgées qu’elle parmi lesquelles se trouve Suzanne (dont le personnage a été inspiré par la fameuse Susan Atkins). Evie va alors les suivre dans le ranch délabré où elles vivent autour de Russell, le chef charismatique, le leader un peu fou. Le quotidien est misérable, la communauté vit d’expédients sur fond de drogues et de sexe. Et la violence est tapie dans l’ombre.

La jeune fille y perdra ses rêves de fille d’Américains moyens, ses illusions et sa virginité.

Un portrait implacable d’une communauté à travers le regard encore pur, du moins au départ, d’une gamine un peu paumée qui voit en Suzanne, une soeur, une amie, un modèle.

Une écriture fine, mais aussi âpre et dure pour un premier roman réussi dans lequel le lecteur suit Evie en 1969 puis bien plus tard, quand elle replonge dans ses souvenirs de cet été 1969 si particulier.

Extraits

Page 94 :« Donna disait que Russell ne ressemblait à aucun autre être humain. Qu’il pouvait recevoir des messages des animaux. Soigner quelqu’un avec ses mains, et arracher la pourriture qui était en vous aussi nettement qu’une tumeur.

“Il voit chaque partie de toi”, ajouta Roos. Et à l’entendre, c’était une bonne chose.

L’idée que l’on puisse me juger supplantait toutes les inquiétudes ou les questions que j’aurais pu avoir au sujet de Russell. A cette époque, j’étais d’abord une chose que l’on jugeait, ce qui, dans toute interaction, déplaçait le pouvoir sur l’autre. »

Page 155 :« Je m’étonne d’avoir si peu culpabilisé. Au contraire, il y avait quelque chose de vertueux dans la façon dont j’accumulais l’argent de ma mère. L’insolence qui régnait au ranch déteignait sur moi, j’avais la conviction que je pouvais prendre ce que je voulais. L’existence de ces billets cachés me permit de sourire à ma mère le lendemain matin, de me comporter comme si nous ne nous étions pas dit les choses que nous nous étions dites la veille au soir. De rester patiente quand elle relevait ma frange sans prévenir. »

Page 292 :« Et j’étais là, parmi eux. Russell avait changé, les choses avaient tourné à l’aigre, mais j’étais avec Suzanne. Sa présence empêchait toutes les inquiétudes éparses de s’échapper. J’étais comme l’enfant qui croit que la présence de sa mère à son chevet repoussera les monstres. L’enfant incapable de deviner que sa mère a peut-être peur elle aussi. La mère qui comprend qu’elle n’est d’aucune protection, si ce n’est en offrant son corps fragile en échange.

Peut-être qu’une partie de moi-même savait où cela aboutirait, un scintillement enfoui dans l’obscurité ; peut-être percevais-je la trajectoire possible, et la suivais malgré tout. Plus tard cet été-là, et à diverses périodes de ma vie, je passerais au crible les grains de cette nuit, à l’aveuglette. »

« The girls », Emma Cline, Quai Voltaire, aux éditions de la Table ronde, 21€.

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