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PIMENT OKDix ans que je connais l’univers d’Alain Mabanckou, découvert avec « Verre cassé ». Nous étions en 2005.

Depuis, l’auteur né à Pointe-Noire au Congo-Brazzaville, déjà poète, est devenu écrivain et essayiste.

Mêlant souvenirs de son enfance et oeuvres fictionnelles, l’homme aux trois cultures ( il est né en Afrique où il a grandi, il a rejoint la France à 22 ans où il a achevé ses études, il vit aujourd’hui en Californie et enseigne la littérature francophone) est l’auteur d’une douzaine de romans dont le dernier « Petit Piment » faisait partie de la sélection du prix Goncourt.

Alain Mabanckou, c’est une parole gouailleuse et pétillante, c’est une Afrique débrouillarde et solidaire. Drôle aussi. Un peu étrange souvent.

L’histoire ? C’est celle d’un jeune orphelin de Pointe-Noire.  Nous sommes dans les années 70. L’indépendance est actée. La révolution socialiste est en marche.

Depuis sa plus tendre enfance, Moïse vit un quotidien de privations et d’injustice, placé sous l’autorité de l’impitoyable et corrompu Dieudonné Ngoulmoumako, toujours entouré de ses sbires, ses frères et autres cousins.  Seuls le prêtre Papa Moupelo et Sabine Niangui, la femme de ménage,  savent le réconforter. Et puis il y a son ami Bonaventure Kokolo. Moïse le protège, le défend. Mais partira sans lui…

Placé dans une institution religieuse à Loango, l’adolescent de 13 ans voit la révolution socialiste arriver et tous ses repères changer. Loin de la violence gratuite, des affrontements entre ethnies, il prend la fuite. Rejoint des petits bandits puis Maman Fiat 500 et ses dix « filles » zaïroises. Moïse s’appelle désormais Petit Piment. Mais la folie le gagne, la désespérance aussi…

Si dans « Lumières de Pointe-Noire », Alain Mabanckou avait exploré l’intérieur familial, il signe avec « Petit Piment », un roman  » de l’extérieur » comme il le dit. Une grande partie du livre se déroule en effet dans la rue.

La langue de Mabanckou s’affranchit des règles et son récit devient fable… Un roman initiatique dont je n’ai cependant pas aimé la fin.

Extraits

Page 60 : « Nous nous alignions devant le drapeau rouge et écoutions ces discours si apprêtés et boursouflés que certains d’entre nous souffraient le lendemain de céphalées. Comme à l’époque de Papa Moupelo, nous employions dans notre sommeil les mêmes mots alambiqués que ces membres du Parti. Sauf que pour la première fois, même dans les songes où pourtant le rêveur pourrait soulever des montagnes, enjamber l’Amazonie ou le fleuve Congo ou boire toute l’eau de l’océan Atlantique en quelques minutes chrono, il lui était impossible de prononcer d’une seule traite le mot apopathodiaphulatophobie. »

Page 153 : « Après une année et demie à vivre sous la protection des jumeaux et à exécuter toutes sortes de besognes – voler des mobylettes ou des pneus de voitures, détrousser les Blancs du centre-ville, tendre des embuscades aux amoureux vers le pont des Martyrs pour leur piquer leur portefeuille, je me sentais de plus en plus comme leur adjoint. J’étais fier de mon surnom de Petit Piment, car cela voulait dire qu’ils reconnaissaient que je n’étais pas un poltron. Beaucoup de notre bande croyaient à tort que je devais mon sobriquet au fait que je fourrais mon nez partout – on disait, pour me charrier, que j’avais un groin – et que j »étais aussi excité qu’un moustique d’étang. En effet rien ne m’échappait, j’étais derrière chaque coup fourré des jumeaux, j’en étais parfois l’instigateur bénévole parce qu’à la fin lorsqu’ils se partageaient les dividendes je me retrouvais comme un chien qui s’était débattu pour chasser et que les maîtres ne gratifiaient même pas d’un petit os. »

Page 209 :  « Je ne vis nulle part Maman Fiat 500 et ses filles. Je pris le bus du retour vers ma cabane que je considérais désormais comme le seul lien qui me restait avec cette petite famille qui était certainement en route vers le Zaïre. Je tournais en rond dans cette petite parcelle. Je ne savais plus que faire et ignorais jusqu’à la notion du temps, et c’est sans doute à partir de ce moment que j’ai commencé à sentir des trous béants dans ma tête, à entendre comme des groupes de personnes qui couraient à l’intérieur, les échos des voix qui parvenaient de maisons vides, des voix proches de celles de Bonaventure, de Papa Moupelo, de Sabine Niangui, des jumeaux, mais surtout celles de Maman Fiat 500 et ses dix filles. Puis, plus rien. Je ne me souvenais plus de rien, ni même de qui j’étais. »

« Petit Piment », Alain Mabanckou, Seuil, 18,50€.

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