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DIABLE

Voilà un roman ancré dans son époque. Terriblement.

Il y a quelques semaines, je découvrais l’auteure et journaliste Sophie Divry grâce à une libraire bretonne. Je me rappelais juste du titre de son précédent roman, « La condition pavillonnaire » sans rien savoir de l’univers de cette trentenaire qui vit à Lyon après avoir grandi dans la région de Montpellier.

Comme Sophie, le personnage principal de son nouvel opus – son quatrième roman – « Quand le diable sortit de la salle de bain ».

L’histoire ? C’est donc celle de Sophie. Une jeune femme bien née en fin de droit. Elle a changé de vie, perdu son boulot, a choisi de devenir écrivain, s’est retrouvée seule… et sans ressources. Déclassée, elle vit aujourd’hui dans un studio de 12 m2 et panique à l’arrivée de la moindre facture. Pour se calmer, il lui arrive de s’allonger et de regarder le plafond.

Entre petites combines et grosses galères, elle essaye de garder la tête hors de l’eau. Sans renoncer à son rêve d’écriture. Pas simple.

 

 

Autour d’elle, une vieille dame, un ami et voisin Hector qui ne pense qu’à échafauder des plans pour pouvoir mettre l’une de leurs voisines dans son lit. Il y a aussi Lorchus, le diable en personne, qui vient régulièrement empoisonner ses pages et son histoire. Et puis il y a sa mère, ses six frères qu’elle retrouve lors du baptême de l’un des neveux, son futur patron…

Autour de cela, un dispositif littéraire. Tandis que la fermeture sociale et économique autour de Sophie s’aggrave, tandis qu’elle s’isole et qu’elle n’appelle pas à l’aide, les mots s’amusent et s’ouvrent au maximum. Jouent avec la typographie.  Ils changent de taille et/ou de police. Il y a aussi sa mère, qui, bien qu’absente, intervient très souvent au fil des pages. « J’ai voulu m’amuser », explique l’auteure dans une interview. On la suit. Jusqu’au bout.

Extraits

Pages 16-17 : « A qui la faute ? Aux ampoules ? Aux plaques de cuisson ? A la bouilloire ? Au chauffe-eau ? A la box ? Mon appartement est tout électrique. Le mois de janvier avait été particulièrement rude. La Saône avait gelé. Le quartier entier s’était figé sous le froid, un brouillard glacial interdisant le moindre mouvement  ; seules des fumées blanches s’échappaient des toits, preuve, pour certains, du secours d’un chauffage central, et, dans ce paysage tétanisé, ces fumerolles semblaient comme autant de drapeaux blancs demandant grâce à l’hiver. Quatre mois plus tard, alors que le printemps est censé ramener de la joie au coeur, je fusillai du regard mes convecteurs qui, indifférents à mes difficultés, hibernaient sous la poussière. Salauds de radiateurs. 300-260=40. Affolé par cette simplissime et répétée soustraction, mes esprit essayait de nier l’évidence du résultat. Il recalculait sans cesse, espérant qu’apparaisse un autre monde, afin d’éviter la question d’après  : comment faire pour tenir dix jours avec quarante euros ? »

Page 97 : « Le lendemain, je me dis que l’heure n’était plus à trouver du travail, mais de l’argent. Alors je fis ce que tout le monde aurait fait à ma place : j’allumai mon ordinateur. Via le site PriceMinister, j’avais vendu de nombreuses affaires du temps de mon Grand Exode. Le Grand Exode est le moment où je me suis arrachée à ma vie précédente. Chacun a dans son coeur son après-guerre, sa Libération ; chacune a vécu sa sortie d’Egypte, son New Deal, sa Grande Dépression ; chaque biographie personnelle peut s’écrire de la même manière qu’un livre d’histoire, avec ses périodes glaciaires et ses révolutions. »

Page 150 : « – Alors, la Lyonnaise, pas trop débordée ?

Je répondis que oui, ça allait, il faisait beau à Lyon, le printemps était arrivé. Je ne voulais pas m’étendre. La seule chose qui me tracassait vraiment, c’était de savoir si Hector allait bien relever mon courrier. Je lui avais laissé le double de mes clefs, cinquante centimes pour la photocopie de mon bulletin de salaire, ainsi qu’une enveloppe timbrée à l’adresse de Pôle emploi ; mais, comme je ne pouvais pas parler de ça sans déclencher des mines sombres, je parlai d’autres choses, je bottai en touche, je semelai en coin, je fis diversion, j’éludai les sujets graves, je donnai le change, je changeai de sujet, je fifoulai dans le flou, je vis une issue, je sus m’en sortir, je sortis une blague, je blablatai un truc, je truculai une miche, je rapilassai les oustilles, je réformai la canicule, je décoinçai une tiche, je libérai la calichane, je diversifiai la trinitaire, je décalibrai les stations, je déformaila mandibule, j’anecdotiquai dans la couture, je modulai la déraison, je renouvelai la juvamine, je fluctuai dans le décile, je remaniai la glycine, je déguisai l’alter égo, je respirai la ventoline, je modifiai la chambardine, je glorifiai la mutation, je barbotai dans le trouble, je pinaillai la tentacule, je témoignai des zozottiers, je donnai dans le leurre, je démembrai le pointillé, je rigotai la suspension, et chaque fois il me fallait trouver une autre idée, car, comme vous le savez, j’ai six frères et chacun me demandait :

– Qu’est-ce que tu racontes ?

– Quoi de neuf ?

Rien de neuf, hélas. »

« Quand le diable sortit de la salle de bain », Sophie Divry, Les éditions Noir sur blanc, 18€.

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