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AMOUR ET FORETSNous poursuivons notre petit cheminement à travers les nouveautés de cette rentrée littéraire. Parmi elles, des livres surprises et d’autres, particulièrement attendus. C’était le cas avec « L’amour et les forêts », nouvel opus d’Eric Reinhardt, auteur dont j’ai particulièrement apprécié les deux derniers romans,  « Cendrillon », et « Le système Victoria », que j’avais évoqué ici.

Un roman encensé ici et là déjà par les critiques. Le public devrait également apprécier ce magnifique portrait de femme. Celui de Bénédicte Ombredanne.

L’idée de ce roman est née d’une rencontre entre Eric Reinhardt et l’une de ses lectrices. Dans les Inrockuptibles du 13 au 19 août, l’auteur explique :  » J’étais dans le train et ma voisine m’a accosté. Elle m’avait vu dans une émission littéraire à la télé et elle m’a dit : “Vous êtes celui qui doit raconter mon histoire”. J’étais sous le choc : c’était une histoire de harcèlement conjugal ».

De ce témoignage et d’une partie des correspondances entretenues avec d’autres lectrices, Eric Reinhardt a imaginé son roman.

Si dans « Le système Victoria », l’héroïne incarnait la capitalisme, le pouvoir de l’entreprise et l’argent, Bénédicte Ombredanne, elle, est une femme entravée, empêchée, avilie par le pouvoir tout-puissant… de son mari Jean-François –, épousé par défaut, par dépit – que l’on pourrait ranger parmi les pervers narcissiques.

L’histoire ? C’est donc celle de cette femme. Professeure de lettres dans un lycée de l’Est de la France, à Metz, elle est mariée et mère de deux enfants. Ses rêves se sont envolés. Ceux de son mari ne se sont pas réalisés non plus. Il fait payer le prix de son échec à sa femme, plus cultivée, plus profonde que lui. Suite à une soi-disante prise de conscience de son mari de ce qu’il fait vivre à sa femme, Bénédicte décide de s’inscrire sur un site de rencontres. Via internet, elle fait la connaissance d’un homme, Christian, qui le temps d’un après-midi, lui fera comprendre que sa vie pourrait être différente, et que l’amour existe. Au milieu de la forêt, son horizon s’éclaircit, son corps exulte et son coeur s’emballe. Un épisode, unique et précieux, qui remet en cause le (très) fragile équilibre que Bénédicte tente de maintenir. Sa vie bascule. Tout s’emballe. Elle ne s’en remettra pas.

Très admirative de l’oeuvre romantique de Villiers de l’Isle-Adam, elle se rapproche du narrateur, qui n’est autre qu’un écrivain ( Eric Reinhardt aime endosser ce rôle), pour partager des souvenirs de lecture… et évoquer sa vie par fragments.  Un lien se crée. Une correspondance naît. Mais elle ne sauvera pas Bénédicte Ombredanne. Le narrateur se fera enquêteur auprès de la soeur jumelle de Bénédicte notamment… trop tard cependant.

 Extraits

Page 53 : « Sa décision était prise, le cheminement qui l’y avait conduite avait été accompli pendant la brève durée de son repas. Pourtant, jusqu’à ce soir de mars, l’idée de se rendre sur ce genre de sites ne s’était même jamais présentée à son esprit, y compris dans ses fantasmes les inavouables.

L’explosion qui venait de se produire avait été d’une puissance inouïe, accentuée par l’attitude de rétention dont elle avait fait preuve ces dix dernières années : rétention de désirs, de pulsions, de gaieté, de rêves, d’espérance, d’exigences, d’ambition, de tendresse, de colère, de révolte. Les conséquences de cette posture de renoncement avaient été comparables en définitive à une insidieuse accumulation d’explosifs, c’est ce qu’elle avait découvert ce soir-là quand la présence de toute cette dynamite entreposée par son abnégation dans un recoin obscur de son cerveau avait encore amplifié la violence du souffle. Un observateur présent dans la maison au moment des faits aurait pu percevoir distinctement deux détonations successives, la première liée au temps présent et aux aveux humides du mari, la seconde au gâchis qu’elle se disait qu’elle avait fait des années dernièrement écoulées. La seconde avait été encore plus assourdissante que la première. »

Page 169 : « Elle se dirait plus tard qu’elle aurait dû tirer profit de l’avantage qu’elle avait pris à ce moment-là sur son mari pour imposer de nouvelles normes relationnelles. Si elle avait été un peu plus prévoyante, elle lui aurait expliqué ce qu’elle attendait de leur vie commune, elle aurait pérennisé ce rééquilibrage par des repères placés entre eux comme autant d’épingles de couturière piquées dans le tissu d’une robe pour en marquer l’ourlet. »

Page 299:  » Elle m’a dit un matin qu’elle avait toujours adoré le mot surrender, entendu dans une chanson fameuse. A présent, elle savait pourquoi : elle connaissait la raison d’être de cet obscur attachement pour ce mot. Surrender. Reddition. Il est beau, ce mot, non ? m’a-t-elle dit ce matin-là? Reddition, avec ses deux d, c’est sublime, tu ne trouves pas ? Mais enfin, ai-je protesté, qu’est ce que tu racontes, tu dis n’importe quoi ! Pas du tout, m’a répliqué calmement pas jumelle.  Je t’assure, Marie-Claire. Le moment est venu de me rendre. Le bonheur n’a pas voulu de moi, j’ai pourtant tout fait pour le mériter, tant pis, ma décision est prise, j’abandonne. »

Mon avis

Pas de doute, Eric Reinhardt sait parler des femmes… et aux femmes. Avec ce nouveau roman, formidable portrait, il nous parle de l’intime, de ce qui ne se voit pas, de ce qu’on ne dit pas. Et qu’il faut deviner. La langue de Reinhardt, riche, précise, nous entraîne dans les méandres de l’âme et des sentiments. Jusqu’à la fin de Bénédicte. A découvrir absolument.

« L’amour et les forêts », Eric Reinhardt, Gallimard, 21,90€.

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