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Eric Reinhardt vous balance tout. A vous de vous débrouiller avec le paquet de linge sale ! La preuve encore avec son nouveau roman  » Le système Victoria « .

Troisième aller-retour en ce qui me concerne dans l’univers de cet auteur. Après  » Le moral des ménages  » et  » Cendrillon », je me suis laissée prendre à son nouvel opus.

Plongée cette fois dans le monde du bâtiment et de l’architecture avec David. Il voulait être architecte mais la vie en a décidé autrement ( ou plutôt la maladie de celle qui deviendra sa femme, Sylvie)  jusqu’à ce qu’il devienne cependant le grand ordonnateur, c’est à dire directeur de travaux de la construction de la tour Uranus, la plus haute de France. David a deux filles et une femme qu’il trompe régulièrement mais juste le temps de découvrir un nouveau corps. Le temps d’une journée, d’une nuit.

Cultivé, idéaliste et sensible, David va rencontrer Victoria dans une galerie marchande. Drôle d’endroit pour une rencontre aussi improbable. Victoria est la directrice Ressources humaines monde du groupe Kiloffer. Elle partage se vie entre Londres et Paris. Entre un mari musicien, leurs quatre filles d’une part. Des frasques sexuelles et des liaisons sulfureuses de l’autre. Rien ne lui résiste. Ni les hommes. Ni David.

L’homme de gauche, convaincu, s’attaque de front à l’incarnation de la globalisation et du capitalisme sauvage, au pouvoir en place, celui de l’argent. Un choc. Pour l’un. Pour l’autre. Au fil des 521 pages, on se laisse prendre à cet anti-conte de fée qui mène ses personnages jusqu’à la mort, le drame. Sordide.

Eric Reinhardt ne nous épargne rien. Ni les scènes de sexe dans les hôtels huppés de Londres et de Paris, ni celle, unique et tragique, qui réunira pour la dernière fois nos héros dans un cinéma porno d’un quartier populaire. Qui manipule qui ? Qui aime vraiment l’autre ? A quoi l’obstination d’un résultat professionnel peut-elle conduire ? Et celle de la passion ? Autant de thèmes que l’auteur nous livre.

Si  » Cendrillon » nous plongeait de manière assez vertigineuse dans le monde implacable des traders, ce nouvel opus nous fait découvrir celui de la construction à plusieurs millions d’euros, de la compromission des marchés, des délais à rattraper, des pénalités et des réserves… Encore une virée dans la vraie vie.

Page 176 :  » Je ne me suis jamais autorisé à essayer d’imaginer ce que mon existence serait peut-être devenue si Sylvie n’était pas tombée dans le coma. Ma vie tout entière s’est décidée pendant ces cinq jours où je suis venu la voir, où je me suis trouver dans la situation de délivrer ce qui ressemble à une parole sacrée. Quand on y réfléchit, les situations sont rares où les phrases que l’on peut dire ont un prix inestimable ; c’est le cas quand par ces phrases, par les promesses qu’elles articulent, par les offrandes qu’elles accomplissent, on achète la vie d’un être aimé : on garantit leur valeur en échange d’une vie humaine. La sortie du coma a entraîné la création d’une zone mentale sanctuarisée, interdite à toute spéculation, où aucune pensée ne s’est jamais aventurée que par hasard ou honteusement – de la même manière qu’on se refuse à imaginer la mort d’un enfant. Dans cette zone se trouve conservée comme dans un coffre la question du lien qui nous unit. Je n’ai jamais trahi les phrases que j’ai dites à Sylvie pendant les cinq jours de son coma ».

Style riche et limpide pour ce nouveau roman qui plonge le lecteur dans les affres et les travers de notre société de consommation où tout se vend et tout s’achète. Absolument tout.

Page 338, David, l’idéaliste, qui, après le drame, a été reconnu par la tenancière d’un hôtel le dit tout net : «  […] C »est encore mieux d’être quelqu’un comme l’était Victoria. : d’avoir une complexité qui vous fait échapper à toutes les catégories, et qui fait que vous n’êtes pas compris par ceux qui vous regardent avec l’oeil, justement, de l’idéaliste, ou par ceux qui vous regardent avec l’oeil du cynique. Il faudrait inventer un nouveau regard, ou retrouver un regard vierge, presque un regard d’enfant, pour comprendre la complexité de Victoria. Elle est morte à cause de mon idéalisme, qui pourrait être, en ce qui me concerne, une version sophistiquée de la bêtise. « 

Pour moi, c’est un livre fort, ancré dans la réalité et onirique à la fois.

 » Le système Victoria » d’Eric Reinhardt, Stock, 22,50€.

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