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cvt_Reparer-les-vivants_6623Je ne sais si cette rentrée littéraire est exceptionnelle mais elle revèle des pépites. La preuve encore avec le nouveau roman de Maylis de Kerangal dont vous trouverez d’ailleurs une partie des oeuvres sur ce blog. Avec « Réparer les vivants », elle signe un roman écrit au scalpel. Et profondément humain.

Maylis de Kerangal, née en 1967, a grandi au Havre. Une ville qui sert d’ailleurs de décor à ce nouveau roman. Editrice, elle est l’auteure de « Je marche sous un ciel de traîne »(2000), « La Vie voyageuse » (2003), d’un recueil de nouvelles « Ni fleurs ni couronnes » (2006).

Son roman « Corniche Kennedy » (2008) lui offre la possibilité d’être sur nombre de listes de prix. En 2010, avec son roman « Naissance d’un pont », elle remporte le prix Médicis.

Elle reçoit, en 2012, le prix Landerneau pour son roman « Tangentes vers l’est » dont Quatrième de couv a parlé ici.

Avec « Réparer les vivants », elle nous plonge – quelques semaines après la première pose d’un coeur artificiel dans le corps d’un homme (exploit français) – dans une transplantation cardiaque.  Un drame se joue en ce dimanche matin. Trois jeunes, une séance de surf extraordinaire et la mort sur la route. Simon Limbres n’a pas de ceinture de sécurité.  Le pronostic vital de ce jeune homme de 19 ans est plus qu’entamé quand il arrive à l’hôpital. Rapidement se pose la question du don de ses organes. Une course contre la montre vient de commencer. Le roman se condense sur une plage de 24 heures. Pas une de plus.

Au fil des pages, les personnages entrent en scène. Simon, puis le docteur Révol ; ses parents Marianne et Sean qui vivent depuis plusieurs mois déjà une histoire compliquée ; l’infirmier-chanteur Thomas Rémige ; Cordélia, l’infirmière aux amours compliquées ; Juliette, la petite amie délaissée une fois de plus pour une séance de surf ; Claire, quinquagénaire malade du coeur qui recevra celui de Simon…

Les portraits ciselés se succèdent, se répondent. Et le temps est minuté. L’auteure parle de son roman comme d’une « chanson de geste », quand, au Moyen-âge notamment, on évoquait un haut fait d’armes, un acte héroïque.

Ici, tout est tenu, dans un cadre millimétré. Pas de place pour le hasard tandis que le coeur de Simon va cesser de battre.

Au fil des pages, Maylis de Kerangal fait oeuvre d’une haute précision, d’une technicité pointue et ce, qu’il s’agisse d’expliquer la formation d’une vague, de la manière dont il faut poser sa voix… ou d’un coeur qu’il est tend d’extraire pour sauver et réparer des vivants.  Dans ce roman, tout est question de souffle.

Ecoutez ici l’émission « L’humeur vagabonde » consacrée au roman et à l’auteure :

 

Extraits

Page 86 :« Il faut qu’elle réfléchisse, qu’elle rassemble et qu’elle ordonne, qu’elle puisse émettre une phrase claire à Sean quand il arrivera, épargné. Qu’elle enchaîne les propositions de manière intelligible. Primo : Simon a eu un accident. Deuzio : il est dans le coma – gorgée de gin. Dresseur de loulous, dynamiteur d’aqueducs. Tertio : la situation est irréversible – elle déglutit en pensant à ce mot qu’il lui faudra articuler, irréversible, quatre syllabes qui vitrifient l’état des choses et qu’elle ne prononce jamais, plaidant le mouvement continu de la vie, le retournement possible de toute situation, rien n’est irréversible, rien, a-t-elle coutume de clamer à tout bout de champ – elle prend alors un ton léger, balance sa phrase comme on secoue avec douceur celui qui se décourage, rien n’est irréversible, hormis la mort, le handicap, et peut-être alors qu’elle virevolte, tourne sur elle-même, peut-être qu’elle se met à danser. Mais Simon, lui, non. Simon c’est irréversible. »

Page 120 :« Les murs valsent, le sol roule, Marianne et Sean sont assommés. Bouchées bées, regards flottant au ras de la table basse, mains qui se tordent, et ce silence qui s’écoule, épais, noir, vertigineux, mélange l’affolement à la confusion. Un vide s’est ouvert là, devant eux, un vide qu’ils ne peuvent se figurer autrement que comme “quelque chose” puisque le “rien” est impensable. Ils se débattent face à ce trou d’air, ensemble, bien que n’agitant ni les mêmes interrogation, ni les mêmes émotions […] »

Pages 192-193 : « […] ils sont l’ombre d’eux-mêmes aurait-on dit pour les décrire, la banalité de l’expression relevant moins la désagrégation intérieure de ce couple que soulignant ce qu’ils étaient encore le matin même, un homme et une femme debout dans le monde, et à les voir marcher côte à côte sur le sol laqué de lumière froide, chacun pouvait saisir que désormais ces deux-là poursuivaient la trajectoire amorcée quelques heures auparavant, ne vivaient déjà plus tout à fait dans le même monde que Cordélia et les autres habitants de la Terre, mais effectivement s’en éloignaient, s’en absentaient, et se déplaçaient vers un autre domaine, qui était peut-être celui où survivaient un temps, ensemble et inconsolables, ceux qui avaient perdu un enfant. »

Mon avis

Un long souffle. Une mécanique. Celle du coeur et celle des sentiments. Maylis de Kerangal a su choisir les ingrédients d’un roman fort, qui nous tient en haleine de bout en bout. Et nous, qu’aurions-nous fait en pareil cas ? Une petite voix nous accompagne le long des 281 pages d’une écriture dense, vive et qui scande le temps désormais compté. J’aimais déjà beaucoup l’univers de Maylis de Kerangal, avec  » Réparer les vivants », elle touche un peu plus encore. Au plus intime. En plein coeur.

« Réparer les vivants », de Maylis de Kerangal, éditions Verticales, 18,90€.

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