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Le Transsibérien a inspiré les auteurs, ces derniers mois.  Et pour cause. Plusieurs d’entre eux ont participé au printemps 2010 à un voyage officiel organisé dans le cadre de l’année franco-russe. Avec plus ou moins de bonheur, les auteurs, – comme le raconte l’article de Rue89 publié ici –, les auteurs ont « rendu » leur copie sous différentes formes. Maylis de Kerangal est l’une des seules à l’avoir fait sous une forme romanesque avec « Tangente vers l’est« , qui vient de sortir chez Verticales.

 Maylis de Kerangal passe son enfance au Havre. Elle étudiera l’Histoire, la philosophie, et l’ethnologie. Elle publie son premier roman, « Je marche sous un ciel de traîne« , en 2000, suivis en 2003 par « La Vie voyageuse« , puis par le recueil de nouvelles « Ni fleurs, ni couronnes » en 2006 , et par « Corniche Kennedy » en 2008.

En novembre 2010, elle remporte à l’unanimité et au premier tour le prix Médicis pour son roman « Naissance d’un pont« . Le livre est la même année en sélection pour les prix Fémina, Goncourt, et Flore. Un livre qui m’avait donné envie de mieux découvrir cette auteure à l’écriture rythmée, vive et tout en nuance.

Cette fois, avec « Tangente vers l’est« , c’est un tout autre univers dans lequel nous emmène l’écrivaine.

 Un univers fermé, donc. Celui du Transsibérien. Avec ses wagons de 1re, 2e et 3e classe. Et les gens qui y prennent place sans aucune raison de se rencontrer au-delà de la porte du wagon. Là, il y a donc Aliocha, un jeune homme russe, conscrit, qui veut déserter avant d’arriver à sa caserne d’affectation. Il y a aussi Hélène, une Française, qui a suivi son amant russe, Anton, en charge d’un barrage du côté de Ienesseï, en Sibérie. Elle vient de le quitter précipitamment. A pris le train en direction de Vladivostok, sans savoir pourquoi.

Dans le train, ils se rencontrent. Sans se comprendre tout à fait, ils accepteront de faire équipe. D’aller contre la fatalité, de braver l’autorité de Letchov et le vigilance des provodnitsa, ces femmes qui se chargent du bon fonctionnement et de l’approvisionnement du wagon qu’elles ont sous leur responsabilité. En quelques heures seulement, ils vont apprendre à se connaître dans l’espace exigu de ce train mythique.  Sans entrer dans les détails. L’une comme l’autre ont une logique propre. Il n’est question que de fuir.

 Aliocha est monté à Moscou, avec les autres conscrits, incapables de dire où ils vont descendre. Hélène, elle, a pris le train à Krasnoïarsk. C’est dans cette gare qu’Aliocha tente une première fois de s’enfuir. De déserter son triste destin.

Page 32 : « Aliocha est là en bonne place qui croise les bras sur son tee-shirt, et rit lui aussi, un rire forcé, râpeux dans sa gorge serrée. Il n’a rien enfilé avant de descendre, n’a pas même pris son sac de peur d’attirer l’attention, il est le plus léger possible, rien dans les mains, rien dans les poches, délesté de tout ce qui lui donnerait un nom – a plié la photo de sa mère au fond de sa chaussure – mais pourvu d’un téléphone portable, d’un chargeur et de cent roubles ; le jeune conscrit désespéré n’existe plus, c’est un autre homme. »

 Le paysage, lui, défile. Jour, nuit. La forêt russe à perte de vue. Et ce train, imperturbable.

Page 45 : « […] la forêt se dresse dans la lumière rasante du premier jour, et c’est encore la même forêt, les mêmes arbres élancés, les mêmes, fûts orangés, une forêt identique à ce point à elle-même c’est à devenir dingue, on aura beau apercevoir une rivière qui sourd sous la glace, des buissons de fleurs pâles, de la neige en plaques marronnasses le long de la piste boueuse, des toits, des palissades, c’est  la même forêt, encore et encore, non plus l’océan mais la peau de la Terre, l’épiderme de la Russie, les griffes et la soie […] »

 Au final, voici un livre qui se lit d’une traite. A cause du rythme, de la tension qui s’en dégage. Aliocha doit trouver une solution avant le terminus. Hélène est plongée dans ses doutes. Tous les deux ont décidé de fuir, de prendre la tangente. Ils vont devoir le faire ensemble, sans se livrer cependant. Ils se comprennent par gestes et quelques mots de base. De quoi se pencher sur l’essentiel tandis que le Transsibérien n’en finit pas d’avaler les kilomètres. Immensité contre promiscuité. Cette fois encore, Maylis de Kerangal trouve le ton juste. Et le bon rythme. Un bon moment.

« Tangente vers l’est », Maylis de Kerangal, éditions Verticales, 11,50€, 128 pages.

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