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Premier coup de coeur littéraire de l’année !  Avec « La petite communiste qui ne souriait jamais », Lola Lafon signe un roman atypique, insolite et terriblement attachant.

Ecrivain et musicienne, Lola Lafon, née en 1975, est déjà l’auteure de trois romans. Elle a également signé deux albums.

 

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Souvenez-vous ( pour ceux qui ont plus de quarante ans !) . Aux Jeux Olympiques de Montréal, en 1976, une jeune athlète de 14 ans, roumaine, fait oublier toutes les gymnastes précédentes. Nadia Comaneci engrange les 10 et devient une icône pour la moitié de la planète.

La petite sylphide, objet politique de propagande, n’a peur de rien. Sauf qu’on la prive de liberté. Mais à quel prix ? Alors elle ferme les yeux, ne peut va voir ni se souvenir de que le couple Ceausescu a bien pu dire et faire croire. Qui ment ? Qui dit la vérité ? Le roman oscille entre les versions jusqu’à la fuite vers les Etats-Unis, peu de temps avant la chute du système communiste roumain.

Lola Lafon, qui a vécu en Roumanie jusqu’à l’âge de 12 ans et qui y retourne régulièrement, porte un regard sans concession sur ce personnage au corps gracile et musclé, imperturbable sur les barres et les poutres. Ici, pas de biopic à la sauce américaine, de biographie qui enjolive. Non, Nadia Comaneci, comme le dit elle-même l’auteure, est « l’anti-Britney Spears, une image d’adolescente hypermédiatisée mais pas hypersexualisée ».

 

Ce roman est un portrait. Celui d’une enfant prodigieuse et d’un corps élastique que l’adolescence va ranger parmi les autres. Celui d’un pays dont le chaos s’annonce. Celui enfin d’une fuite et d’une quête d’autre chose, entre 1969 et 1990.

A travers le roman, Lola Lafon alterne les narrateurs. Béla Karolyi, l’entraîneur atypique aux méthodes musclées, s’exprime, Nadia, ses amies. Et la Securitate qui veille. Une correspondance (imaginaire)entre l’auteur et la gymnaste ponctue également ce roman puissant.

Plongez dans les souvenirs des JO de Montréal et regardez les prouesses de Nadia Comaneci ici : 

Extraits

Page 29 : « Je reçois, suite à ma demande de témoignages pour entreprendre cet ouvrage, des dizaines de lettres et plus encore de mails de fans de Nadia C. La plupart de ces femmes ont une quarantaine d’années, d’autres, très jeunes, n’ont pas l’âge de l’avoir vue en direct à Montréal. Mais toutes se souviennent du choc. De leur ébahissement lorsque Nadia C. détraque l’ordinateur. De leur soudain dégoût des céréales trop sucrées, ces paquets remplis de mini-gadgets jetables, une abondance déplacée au royaume de l’héroïque privation. De leur rejet des jupes si peu pratiques pour jouer à Nadia C., celle dont le justaucorps blanc devient le miroir accusateur de leur vie trop molle et sans devoirs. Car Nadia C. n’est pas que légère. Elle est puissante et impitoyable. Nadia C. ne sourit jamais, ne dit jamais merci, ce sont les adultes qui la supplient de leur accorder un regard. Elle se tait, distante et concentrée, entourée d’adultes en survêtement, étranges profs de gym qui la félicitent respectueusement. Celle qui vient d’un pays que personne, pas même les parents, ne connaissait avant que la télé ne l’évoque. »

Page 77 : « Béla scrute ses cernes, son odeur, boit-elle suffisamment entre les entraînements ? Et il doit également s’occuper de celles qui forment le décor maintenant, des figurantes : les autres filles de l’équipe. Ennuyeuses, prévisibles, leur peur et leur fatigue qu’elles tentent de dissimuler quand Nadia, elle, est une plante carnivore de dangers dont il faut la gaver. Elle suit ce que son corps lui dicte, ce corps capable d’inscrire le feu dans l’air, une Jeanne d’Arc magnésique. Elle grignote l’impossible, le range de côté pour laisser de la place à la suite, toujours la suite. »

Pages 275-276 : « […] La fée sans autre désir que celui d’accrocher à son cou fragile des médailles dorées dégage aujourd’hui un parfum moite, son attitude est choquante, disent-ils. Certes, mais “son apparence n’est bien plus ! ” assène un célèbre éditorialiste américain en guise de conclusion. Car c’est de ça dont il est question : de tissus trop courts, pas assez chers, de nacres mal appliquées, de rouge trop rouge et de chair insouciante. Son péché, résume le New York Times : “Elle est devenue comme les autres.”

Alors elle sera jugée comme les autres. »

Mon avis

Lola Lafon l’annonce d’emblée : « La petite communiste qui ne souriait jamais », n’est pas une reconstitution historique de la vie de Nadia Comaneci. L’auteure a choisi « de remplir les silences de l’histoire et ceux de l’héroïne et de garder la trace des multiples hypothèses et versions d’un monde évanoui ». Un parti pris qui plonge le lecteur dans l’Europe d’avant, celle du Rideau de fer, des mensonges et des privations organisées. Le roman de la fin de l’innocence. Un vrai coup de coeur et la découverte d’une jolie plume.

« La petite communiste qui ne souriait jamais », de Lola Lafon, Actes Sud, 21€.

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