Flux pour
Articles
Commentaires

Rentrée littéraire

Voilà un livre étonnant ! « La cravate », écrit par Milena Michiko Flašar nous emmène au Japon, dans un parc. Sur un banc. Puis un second. C’est là que jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, deux hommes vont apprendre à se parler, à se connaître. Une très jolie découverte de cette rentrée littéraire !

CRAVATELe premier a 20 ans, en tout cas c’est l’âge qu’il s’est choisi. Il s’appelle Taguchi Hiro. C’est un Hikikomori. Il fait partie de ces centaines de milliers de jeunes Japonais victimes d’une pathologie psychosociale et familiale qui les coupe de toute vie extérieure pendant des mois voire des années. Un phénomène qui touche aussi d’autres pays. Ces jeunes ( souvent trentenaires, masculins et ayant subi un échec dans leur vie professionnelle) ne sont ni grabataires, ni autistes ni retardés mentaux, ils se sentent accablés par la société. Et préfèrent s’en retirer.

Ce jeune homme a fini par sortir de chez ses parents, au bout de deux ans de retrait volontaire. Sur son banc, il rencontre Ohara Tetsu. Lui est un salaryman. Chaque matin, il se rend au bureau. En tout cas c’est ce qu’il fait croire à sa femme. Deux mois déjà qu’il a perdu son emploi. Il vient au parc. Dès lors l’histoire peut commencer.

Un histoire imaginée par une auteure trentenaire qui vit à Vienne. Milena Michiko Flašar a étudié la littérature comparée ainsi que la philologie germanique et romane à l’Université de Vienne. Ensuite, elle a enseigné l’allemand à des allophones.

Suite à quelques publications réussies dans divers magazines littéraires, elle a débuté en 2008 par le recueil « Ich bin », qui contient trois histoires courtes, étroitement liées, sur l’amour et la séparation.

En 2010, a paru la nouvelle« Okaasan – Meine unbekannte Mutter », qui traite du décès de sa mère atteinte de démence. Elle a reçu plusieurs prix et bourses pour son œuvre. En 2012 son roman « Ich nannte ihn Krawatte » a été publié.

Entretemps, elle s‘est entièrement consacrée à l’écriture. « La cravate » est ainsi la traduction de ce roman, effectuée par Olivier Mannoni.

Au fil des pages, chacun des deux personnages raconte des tranches de sa vie qui expliquent son parcours. Suicide, enfant handicapé, pression sociale, difficulté à être tout simplement. Malgré les différences (âge, situation sociale et personnelle…), un véritable lien d’amitié unit les deux hommes qui ont appris à s’apprivoiser. Jusqu’à la mort.

 Extraits

Page 16 : « Quelqu’un me remarqua-t-il, j’en doute, et si ce fut le cas, c’était probablement de la manière dont on remarque un fantôme. On le voit, clair et distinct, on n’arrive pas à croire qu’on l’a vu, on le fait disparaître d’un clignement d’oeil. J’étais un fantôme de ce genre-là. Même mes parents n’avaient presque plus conscience de ma présence. Lorsque je les croisais à la maison, dans l’entrée ou dans le couloir, ils susurraient, incrédules, un Tiens, c’est toi. Ils avaient renoncé depuis longtemps à me compter parmi eux. Nous avons perdu notre fils. Il est mort avant l’heure. C’est forcément ce qu’ils ont ressenti. Comme une perte vivante. »

Page 28 : « D’abord il y eut quelques gouttes, qui devinrent bientôt des cordons. Il tendit les mains dans la pluie, laissa tomber son journal, ferma les yeux. Je vis l’eau s’accumuler dans ses mains. Il les avait jointes pour qu’elles forment une coupe. Flic, flac, elle l’éclaboussait. J’étais surpris. Aucun salaryman ne s’expose de bon coeur à la pluie. Tout autour le parc était flou, délavé. Partout des gens qui fuyaient. Aucune personne en bonne santé ne s’expose volontiers à la pluie. Lui, totalement livré à elle, déjà trempé jusqu’aux os, il semblait ne pas connaître de plus grand bonheur que d’être ainsi trempé. J’observai, fasciné, son visage heureux. Il ouvrit les yeux. Me regarda, à l’improviste, à travers la pluie. Je bondis sur mes jambes. Je ne m’étais pas attendu à cela. A ce regard subit qui savait ma présence. Je ne suis pas seul, y lisait-on, tu es là. Puis il ferma de nouveau les yeux. »

Pages 143-144 : « Ca se passera. Je me faufilai à l’extérieur. La cravate dans la poche de ma veste. Je ta touchais à tous les coins de rue devant lesquels je passais. Elle me tirait vers l’avant. Me poussait dans la foule. J’achetai un billet. Je n’avais pas oublié comment faire. Je franchis le portillon. Dans le métro. Son univers, jour après jour, la main accrochée à la poignée. Je me tenais un peu de travers, les épaules penchées en avant, je ramais à contre-courant. Alors que tout le monde allait dans la ville, moi, j’en sortais. Je voyais les choses qu’il avait forcément vues. »

Mon avis

Un très beau roman que « La cravate ». L’histoire d’une belle rencontre, unique. Celle qui pousse à l’introspection pour mettre des mots justes sur qui arrive. Les chapitres, très courts, invitent à passer d’une histoire à l’autre. Le roman, sombre et léger à la fois, est également émouvant. Et très bien écrit.

« La cravate », de Milena Michiko Flašar, Editions de l’Olivier, 18,50€ ( traduit par Olivier Mannoni).

Laisser un commentaire

*