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Rentrée littéraire

Poursuivons notre lecture de quelques-uns des bons romans de cette rentrée littéraire ! Celui-ci, je l’ai lu au coeur de l’été, avant sa sortie sur les tables des libraires. Un p’tit privilège, je sais.

aut-rolin-jean

Photo P.O.L.

 

L’auteur ? Il s’agit de Jean Rolin, dont vous trouverez d’ailleurs sur ce blog la chronique du précédent roman « Le ravissement de Britney Spears », paru également chez P.O.L.

Jean Rolin, né en 1949 à Boulogne-Billancourt, est journaliste et écrivain. Il a reçu le prix Albert Londres pour le journalisme en 1988 et son roman « L’Organisation » a reçu le prix Médicis en 1996.

Jean Rolin, éclectique dans ses thèmes d’écriture, est un écrivain qui voyage, qui promène son esprit et sa plume  à travers les continents.

 

 

L’histoire ? Avant toute chose, il convient de prendre un atlas. Pour voir, pour comprendre.

Carte FNCV 2013

C’est par le détroit d’Ormuz que transite de 20 à 30 % du pétrole et du gaz irriguant l’économie mondiale ; ce qui en fait, naturellement, un enjeu stratégique de premier ordre, particulièrement, depuis quelques années, dans le climat de tension croissante engendré par le programme nucléaire de l’Iran.

À intervalles réguliers, des escadres de navires américains s’y font voir, surveillées de près par des navires iraniens d’une puissance infiniment moindre que les précédents, mais rompus aux tactiques les plus retorses de la guerre navale dite « asymétrique ». De telle sorte que le moindre incident pourrait entraîner une escalade incontrôlable, et que tous les pays de la région sont engagés dans une course aux armements très propice aux marchands de ces derniers.

Un détroit stratégique, certes mais aussi un lieu de toute beauté, tant du côté iranien que du côté omanais. Malgré la chaleur accablante une grande partie de l’année.

ORMUZ LIVREC’est dans ce cadre, et dans ce contexte, que Wax (« cire » en anglais), un personnage aux contours indécis, plus tout jeune, et sans doute un peu mythomane, a formé le projet de traverser à la nage le détroit d’Ormuz, bien que, même dans sa partie la plus resserrée, jamais moins d’une quarantaine de kilomètres n’en sépare les deux rives.

Afin de préparer cette performance par des repérages, des prises de contacts, des analyses plus ou moins fantaisistes de la situation politico-militaire… –, et d’en tenir la chronique, Wax s’est assuré le concours de celui qui dit « je » dans ce récit, un narrateur qui, jusqu’à la fin, reste anonyme. Récit dont la trame est formée tant par les tergiversations de Wax que par les pérégrinations de ce narrateur, maritimes ou terrestres, d’abord sur les eaux du Golfe puis sur les deux rives, l’arabe et la perse, de celui-ci. Et si faibles que paraissent ses chances de succès, Wax, pour finir, se lancera tout de même dans cette audacieuse tentative de franchir le détroit d’Ormuz à la nage.

Une histoire pas banale. Et c’est avec un art consommé de la description géographique et ethnographique que Jean Rolin, qui est passé à plusieurs reprises par ce détroit, nous emmène avec lui jusqu’à Ormuz.

Au fil des 218 pages, le lecteur suit donc Wax, fragile, ambigu et mythomane dans la préparation de sa traversée, mais aussi celui qui en assure la logistique et prépare déjà la légende bien qu’hypothétique du nageur, le narrateur et double de Jean Rolin.

Un roman d’un abord peut-être un peu austère qui s’avère très bien écrit, docte, drôle et captivant.

Ecoutez ici Jean Ormuz

Extraits

Page 140 :« Dans l’attente de nouvelles instruction qui vraisemblablement n’arriveraient jamais, et après l’échec prévisible de ma mission auprès de l’émir de Sharjah, qui pouvais-je faire, à Khasab, sinon tuer le temps ? Par exemple, et afin de complaire encore à ce caprice de Wax, en poursuivant l’inventaire de toutes les choses, des plus infimes aux plus majestueuses, susceptibles d’être décrites, chacune dans sa catégorie, comme la plus proche du détroit d’Ormuz. Tâche d’autant plus immense, à Khasab, que la ville elle-même – à égalité avec Bandar Abbas – présente cette particularité, et donc aussi la plupart des choses qu’elle contient. Ainsi du distributeur automatique de billets installé dans le tout nouveau supermarché Lulu, celui qui vient d’ouvrir, près du port, sur un terrain remblayé, tant il est vrai que les Emirats n’ont pas le monopole de cette technique. Distributeur de billets dont je peux garantir qu’il est non seulement le plus proche du détroit mais également le seul, dans toute la ville, à être approvisionné régulièrement. »

 Pages 158-159 : « […] Au cours de la matinée, l’épicier, qui s’était inquiété de sa disparition, et qu’il avait auparavant informé de sa destination, était venu le chercher, à bord de la barque à moteur dont il disposait pour son commerce, et c’est alors, semble-t-il, qu’avait germé dans l’esprit de Wax, convaincu désormais de la démesure de son projet, l’idée de le simplifier, ou de le ramener à des dimensions plus modestes, en se faisant transporter de cette façon sur la plus grande partie de la traversée. Evidement, il pouvait sembler plus raisonnable, et plus digne, de renoncer purement et simplement, mais Wax m’assura qu’il trouvait moins déshonorant, à tout prendre, de tricher que de déclarer forfait, outre qu’il prétendait avoir déjà dépensé beaucoup d’argent pour ce projet : “Ne serait-ce, ajouta-t-il de manière assez déplaisante, que les émoluments que je vous verse, et le frais de vos déplacements.” ».

Page 193 : « En y débarquant, l’effort pourtant mesuré que je dus faire, pour me redresser et enjamber le pavois, me causa une fatigue telle que je tombai à genoux sur la plage, dans une position que je dus conserver quelque temps, et qui me fit craindre que parmi les très rares personnes susceptibles de m’avoir vu, il ne s’en trouvât au moins une pour imputer à cet agenouillement des motifs qu’il n’avait pas, et me soupçonner par exemple d’être un missionnaire pentecôtiste désireux de ramener l’île de Larak dans le sein de la vraie religion. « 

Mon avis

J’ai recommencé à plusieurs reprises les premières pages de ce livre. Eh oui, ça arrive ! Je n’arrivais pas à entrer dans l’histoire et la description des navires de guerre ne m’y aidait pas beaucoup. Pas question pourtant de passer à côté du nouveau roman de Jean Rolin. J’ai donc repris le livre et y ai plongé. Jusqu’au bout. Avec plaisir. Jean Rolin le bourlingueur sait nous mener par le bout du nez jusqu’à des rivages lointains et mal connus. Loin de l’univers californien de son précédent roman, nous voilà loin, amusés par ces personnages pas banals, aventuriers de l’inutile. 

« Ormuz », de Jean Rolin, P.O.L., 16€

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