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Rentrée littéraire

C’est la rentrée ! Et pas seulement celle des écoliers. Du côté des librairies aussi, on a défait les cartons pour mettre en valeur les quelques 550 nouveaux romans parmi lesquels il va falloir choisir. L’un d’entre eux, « Il faut beaucoup aimer les hommes », de Marie Darrieussecq m’a beaucoup plu. Je vous raconte ?

 

Marie Darrieussecq, tout d’abord. L’auteure d’origine basque, quadragénaire, a publié son premier roman en 1996, après de brillantes études de lettres. Il s’agit de « Truismes » qui, à l’époque, avait fait beaucoup parler de lui. Depuis, d’autres ont suivi. Et Marie Darrieussecq est devenue psychanalyste.

Editions P.O.L.

Editions P.O.L.

 

 

Le nom de Marie Darrieussecq est associé à celui de l’auteure Marie NDiaye et à celui de Camille Laurens dans des péripéties littéraires en 1998 et en 2007 pour la seconde.

 

 

Au fil de sa bibliographie, des thèmes sont récurrents : la disparition, l’absence mais aussi l’identité et l’appartenance. L’auteure se plait également à écrire sur les transformations traumatiques, le dépassement des limites physiques et psychologiques.

livre-il-faut-beaucoup-aimerDans « Il faut beaucoup aimer les hommes », Solange, qui était déjà le prénom de son héroïne dans « Clèves », son roman précédent, rencontre un homme. Il est Noir. C’est le coup de foudre.  Tous les deux sont acteurs, vivent aux Etats-Unis. Et lui veut réaliser un film. En Afrique. Mais qu’est-ce qu’être Noir ? Et l’Afrique, c’est comment ?

Solange s’interroge, tente de s’intéresser tandis que Kouhouesso travaille d’arrache-pied pour tourner un film adapté d’ »Au cœur des ténèbres » de Conrad, sur place, au Congo. Solange va le suivre dans cette aventure, jusqu’au bout du monde : à la frontière du Cameroun et de la Guinée Équatoriale, au bord du fleuve Ntem, dans une sorte de « je ntem moi non plus ».

Le couple mixte est confronté aux clichés, à une vision fausse qui se porte sur eux. Lui, se doit de jouer l’homme noir. Elle doit se comporter comme une femme. Mais plus. Mais les histoires d’amour finissent mal, en général, non ?

Extraits

Page 95 : « Elle était née où elle était née, dans la peau qui était la sienne, entourée des mots qui l’entouraient. Elle découvrait ça, que sur les Noirs, ce n’est pas exactement que les Blancs n’ont rien à dire (ils n’arrêtent pas, ils n’arrêtaient depuis qu’elle était petite) ; non, c’est que les Noirs, les Blancs, n’ont rien à dire aux Noirs. Même répéter, ils ne peuvent pas. »

Page 172 : « Elle reprit pourtant : “Brice lui-même ne parlait jamais de sa couleur.” Il coupa : “Ce que tu réclames, c’est un certificat. Un certificat de non-racisme. Aussi bien tu ne couches avec moi que pour l’obtenir.”

Elle secoua la tête avec une énergie de cheval, de cheval blessé. Elle murmura le mot paranoïa.

Il pressa ses paumes contre ses yeux, puis les ouvrit en signe d’apaisement. “Toutes ces employées charmantes, elle me font penser à ces Américaines qui se précipitent pour me dire bonjour et au revoir et faire croire qu’elles sont color blind, aveugles à la couleur. Elles tiennent à leur certificat. Ecoute. Tu n’es pas ce genre de petit modèle. Mais si tu n’as pas vu la couleur de Brice, ça ne prouve rien d’autre que ton refoulement.

Le salaud avait fait lui aussi une psychanalyse. Jungienne, lui avait-il dit. A Palo Alto, aller et retour deux fois par semaine en coupé Mercedes. »

Pages 223-224 : « Dans la pirogue, elle avait très chaud. La pagaie plongeait dans le fleuve comme dans de l’huile, les oiseaux mêmes se taisaient. Cette chaleur, c’était stupide ; elle ne pouvait s’empêcher d’ouvrir la bouche, mais l’air du dehors était beaucoup plus chaud que l’intérieur du corps. Kouhouesso fermait les yeux façon persiennes et et le piroguier, torse nu, ne cessait de s’asperger. Il pagayait la chaleur, il touillait le fleuve et le ciel, il se diluait dans les mirages. Le plat de l’eau était parcouru d’ondes qui portaient des voix, des chocs, d’étranges bruits sans source. Les vibrations entraient dans le corps de Solange. Elle avait des visions de la maison de Malibu, l’ombre méditerranéenne, la salle de bains aux carreaux blancs, la mer qui brassait la chaleur. C’était hier, c’était avant. Elle aurait aimé contempler la forêt, avoir la sagesse des peintres et des écologistes ; mais cette Afrique verte et orange qui tremblotait n’était qu’un problème de plus. Aucun de ces arbres n’expliquait Kouhouesso. Ils ne lui opposaient qu’une autre énigme, impénétrable, dangereuse, un règne non humain, l’affirmation d’une puissance ailleurs réduite à la sciure. »

Mon avis

Une histoire d’amour comme au cinéma… et dans le milieu du cinéma. Marie Darrieusecq veut ici tordre le coup aux clichés sur les femmes et les Noirs en les poussant à l’outrance. Une manière de mieux dénoncer ? Peut-être. Le livre, agréable à lire, nous plonge dans le monde artificiel du cinéma et de ses ego surdimensionnés. Tout est apparence. Sauf la couleur de la peau.

« Il faut beaucoup aimer les hommes », de Marie Darrieussecq, P.O.L, 18€.

 

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