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CRUEUn pays dont on ne sait pas le nom. Deux personnages, Thérèse et Karl qui se rencontrent et se fuient en même temps… le tout sur fond de fait-divers tragique. Voilà quelques élèments du décor du nouveau roman d’Hélène Lenoir, le très bien écrit « La crue de juillet », paru aux Editions de Minuit.

Professeure de français en Allemagne, Hélène Lenoir signe avec « La crue de juillet » son dixième roman.

Elle plonge le lecteur, le temps d’un week-end, dans la vie visiblement compliquée de Thérèse, 38 ans qui, dans le cadre de son travail et poussée par son patron et amant, doit interviewer Will Jung, un célèbre peintre reclus. Elle a donc pris le chemin de ce pays qui peut être l’Autriche ou le sud de l’Allemagne pour le rencontrer. Mais rien ne se passe comme prévu. Même son amie Dora, qui doit l’accueillir et assurer la traduction n’est pas là.

LENOIRUn fait-divers tragique – une jeune femme tchetchène a plongé dans une rivière en crue pour tenter, en vain, de récupérer son bébé qui y a glissé – perturbe Thérèse d’entrée de jeu. Puis elle rencontre Karl, un quinquagénaire fatigué, frappé par la beauté de la jeune femme. Mais décidément, rien ne se passe comme prévu…

Thérèse s’égare, se fragilise et s’accroche. Pour elle, chaque euro est compté. Karl, architecte-restaurateur, tente de se reconstruire entre les souvenirs liés à sa mère, atteinte de folie et ceux qui le lient encore à son ex-compagne, également sujette aux dérèglements psychiques. Pour essayer de ne plus y penser, il multiplie les réussites… bat et rebat les cartes de sa vie.

Leur rencontre est improbable, ponctuée de maladresses et de brusqueries. La crue, pour le coup, ne perturbe pas que l’environnement immédiat du fleuve…

 Extraits

Page 28 : « Elle lui parlait, s’excusait, lui demandait quelque chose, polie, timide, penchée de côté, un petit sac rouge en bandoulière, face à lui, les yeux bleus, l’accent français. Il lui fit oui de la tête et décidé, lorsqu’elle s’assit, souriante, en face de lui, de ne plus s’étonner de rien, de ne rien attendre, d’être Karl Ritter, cinquante-trois ans, solitaire, grincheux et fatigué, n’ayant d’autre envie à cette heure-ci que de manger tranquillement cette soupe qu’un soupçon de sel et deux tours de moulin à poivre rendraient certainement délicieuse. »

Pages 46-47 : « […] Elle parlait. L’idée d’avoir fait tout ce voyage pour rien et de rentrer bredouille la rendait tour à tour furieuse, amère et angoissée. A cause de l’argent, elle le dit. S’en voulait d’avoir renoncé à autre chose de bien plus « juteux » pour ce soi-disant scoop dont elle se fichait complètement en réalité, Jung, elle, ses tableaux, ses trucs sans queue ni tête, jamais entendu parler de lui avant, mais “Monsieur” avait tellement insisté, tous ces documents, ces bouquins qu’elle avait dû potasser afin d’être à peu près à la hauteur demain, des heures et des heures depuis dix jours pour, au final, se voir tout juste remboursée de ses frais de voyage, si Dora qui connaissait pourtant parfaitement sa situation, Dora… Une tristesse, un dégoût, puis : On prend un verre ? … « 

Page 105 : « Et de nouveau ce silence que ni l’un ni l’autre ne savent comment rompre ou alléger. Dans le trop-plein de ce qu’ils ont à se dire, la multitude des sujets possibles se réduit au fur et à mesure qu’ils en font rapidement l’inventaire, chacun à part soi, Ritter aussi, car, même s’il pense que c’est à Thérèse d’annoncer la couleur, il doit, lui, préparer sa riposte, mais avec quoi… Et, si elle est également en train de se rendre compte que rien ( ils viennent de le voir avec Jung) ne peut tenir pour franchir à présent le fossé, ça glisse, ça s’essouffle, s’effrite aussitôt, à moins de dire… mais il ne peut pas, ça ouvrirait, ça… non – avant donc d’en arriver ensemble peut-être à la constatation que cette rencontre était inutile, de se quitter par conséquent d’une cordiale poignée de main, restons-en-là, vous avez mon numéro… »

Mon avis

Unité de temps, de lieu et d’action. On se croirait au cinéma ! Ce roman, divinement bien écrit, nous fait voyager à travers la géographie des sentiments. Entre Thérèse et Karl, rien n’est écrit, rien n’est évident… mais tout est possible, et cela malgré les vents contraires, la crue qui charrie les mauvaises nouvelles autant que les mauvais souvenirs. J’ai découvert l’univers d’Hélène Lenoir a travers ce court roman. Un vrai régal !

« La crue de juillet », d’Hélène Lenoir, Editions de Minuit, 14,50€.

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