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« Le roman du mariage » est assurément l’un des livres de cette rentrée littéraire 2013. Et ce, à plus d’un titre. Tout d’abord parce que son auteur Jeffrey Eugenides se fait rare. Très rare. Son premier roman, il le publie en 1993. Il s’agit de « Virgin suicides », tiré d’un fait-divers dramatique. Dans une banlieue chic américaine, cinq soeurs mettent fin à leur jour. Le livre est remarqué. Et le sera plus encore après le film réalisé par Sofia Coppola.

MARIAGE

(photo RFI)

(photo RFI)

En 2002, l’auteur américain d’origine grecque, professeur d’université, revient sur les tables des librairies avec « Middlesex ». Le livre, qui raconte l’itinéraire d’un hermaphrodite dans le San Francisco des années 80 notamment, lui vaut le prix Pulitzer.

En 2011, cet auteur peu prolixe publie « The marriage plot » que les éditions de l’Olivier ont traduit et édité en ce début d’année 2013.

 

 

Voilà pour l’auteur, dont chaque roman publié constitue un événement. « Le roman du mariage » est aussi intéressant par le sujet qu’il traite : celui du mariage.

Alors que l’actualité nous montre le combat idéologique et politique entre les anti et les pro mariage pour tous, Jeffrey Eugenides lui, plonge le mariage tel que les romans du XIXe siècle le considérait… tout en essayant de le faire revivre au coeur des années 80, sous la présidence de Reagan.

L’histoire ? C’est celle d’un triangle amoureux. D’un dilemme.  Il y a Madeleine, Leonard et Mitchell. La première, 22 ans, est étudiante en littérature à l’université de Brown, dans Rhode Island.

Issue d’une famille aisée, elle se réfugie dans l’univers des romans matrimoniaux du XIXe siècle, ceux de Jane Austen, Henry James ou encore George Eliot. Tout en affichant pourtant une certaine autonomie.

Elle rencontre Mitchell. D’origine grecque, ce dernier s’est tourné vers des études de théologie. Il aime Madeleine. La jeune femme a aussi des sentiments pour lui. Et puis il y a Leonard.

Doctorant en biologie, fils d’une mère et d’un père alcoolique, Leonard est fragile, atteint d’une psychose maniaco-dépressive soignée alors, nous sommes dans les années 80, uniquement à coup d’absorption de lithium. Madeleine en est éperdument amoureuse. Elle l’épousera d’ailleurs. Mais à quel prix… Loin des romans de l’Angleterre victorienne, l’amour n’a plus le même sens après les chocs pétroliers.

Pendant un an et au fil de 550 pages, Jeffrey Eugenides nous fait suivre les trois personnages dans leur quête. Elle est spirituelle pour l’un et le mènera jusqu’ en Inde, amoureuse pour l’autre à côtoyer la maladie et ses dommages collatéraux de très près. Leonard, lui, cherche à rester en vie. A ne pas devenir fou.

Cette fois encore, l’auteur dépeint avec justesse le passage vers l’âge adulte de ses personnages. Leur idéalisme confronté à la réalité. Eugenides est également l’observateur fidèle et attentif de la vie intellectuelle d’alors au coeur de l’université. Barthes et Derrida au secours des déboires amoureux ? Madeleine sert contre elle « Fragments d’un discours amoureux » quand elle croit avoir perdu Leonard…

Dans cette vidéo publiée sur le site des Inrocks.com, Jeffrey Eugenides explique sa vision du mariage. Retrouvez aussi des images de l’univers de l’auteur à travers notamment des extraits du film « Virgin suicides », réalisé par Sofia Coppola.

Extraits

Page 38 : « […] Selon Saunders, le roman avait connu son apogée avec le roman matrimonial et ne s’était jamais remis de sa disparition. A l’époque où la réussite sociale reposait sur le mariage, et où le mariage reposait sur l’argent, les romanciers tenaient un vrai sujet d’écriture. Les grandes épopées étaient consacrées à la guerre, le roman au mariage. L’égalité des sexes, une bonne chose pour les femmes, s’était révélée désastreuse pour le roman. Et le divorce lui avait donné le coup de grâce. »

Page 117 : « Fragments d’un discours amoureux était le remède parfait contre les peines d’amour. C’était un manuel de réparation pour le coeur, avec le cerveau pour seul outil. Si on utilisait sa tête, si on prenait conscience de la dimension culturelle dans la construction de l’amour et du fait que ses symptômes étaient purement intellectuels, si on comprenait que l’état amoureux n’était qu’une idée, alors on pouvait se libérer de sa tyrannie. Madeleine savait tout cela. Le problème, c’était que ça ne marchait pas. Elle pouvait lire Barthes déconstruisant l’amour à longueur de journée sans sentir la moindre atténuation de celui qu’elle portait à Leonard. « 

Page 259 : « On était censé regretter de ne pas avoir vécu les années 60, mais ce n’était pas le cas de Madeleine. Elle avait l’impression qu’on lui avait épargné beaucoup d’absurdités et que les jeunes gens de sa génération, tout en héritant d’une bonne partie de ce qu’elle avait de positif, gardaient une distance saine par rapport à cette décennie, ce qui les dispensait du choc brutal qu’on éprouvait en étant maoïste un jour et mère au foyer à Beverly, Massachusetts, le lendemain. »

Mon avis

La fin de l’innocence. Jeffrey Eugenides a l’art et la manière de plonger ses lecteurs dans le processus. J’avais beaucoup aimé ses deux précédents livres. Impossible dès lors de ne pas aimer celui-ci. On y retrouve les thèmes chers à l’auteur. On y retrouve aussi un peu de lui. Ses personnages sont fouillés, travaillés dans les moindres détails. Et la description de la maladie de Leonard, décrite de manière clinique, enrichit encore les pages de ce roman d’aujourd’hui et d’hier. A lire absolument !

« Le roman du mariage », de Jeffrey Eugenides aux éditions de l’Olivier ( traduit de l’anglais par Olivier Deparis), 552 pages, 24€.

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