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En ces temps de vacances hivernales, quoi de mieux que de plonger dans un livre… quand on ne dévale pas les pentes ? Pour vous réchauffer et faire travailler vos zygomatiques, voici un court roman (87 pages seulement !) à dévorer en attendant le goûter.

Martin Page est en effet de retour avec « L’apiculture selon Samuel Beckett »Martin Page, c’est cet auteur inclassable, même pas quadragénaire dont le premier roman, sorti en 2001, s’intitulait  » Comme je suis devenu stupide ». Tout un programme ! Et un univers qui posait ses bases.

D’autres titres ont suivi comme « Une parfaite journée parfaite », « De la pluie », « Peut-être une histoire d’amour », « La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique », etc.

 

 

Quand il n’écrit pas de romans, Martin Page bâtit des histoires pour le jeune public, écrit de la bande dessinée et fait aussi de la vidéo tout en alimentant son blog intitulé Pit Agarnem ( anagramme de Martin Page), que vous pouvez découvrir ici.  Il s’agit d’un laboratoire collaboratif. L’été dernier, un roman a d’ailleurs été publié sous le nom de Pit Agarnem dont on apprend qu’il est né d’un père américain d’origine finlandaise et d’une mère française !

Quid de « L’apiculture selon Samuel Beckett » ? Un été à Paris, un doctorant en anthropologie est chargé par Samuel Beckett , prix Nobel de littérature en 1969 pour ceux qui auraient oublier, de classer ses archives. La rencontre lui semble si improbable qu’il en tient le journal afin de ne rien oublier. Le Beckett extravagant qu’il décrit est bien loin de l’homme austère qu’il imaginait. Et nous suivons la relation entre les deux hommes du 28 juin au 19 octobre 1985.

Ce récit est une réflexion sur l’image de l’écrivain, sa mémoire, l’utilisation de son oeuvre. C’est aussi un roman fantaisiste qu’on dévore et dans lequel on apprend que Beckett est un amateur de chocolat chaud à la garde-robe extravagante, un joueur de bowling et un apiculteur passionné.

 Bref, une fiction rigolote qui prend à rebrousse-poil l’image officielle d’un Samule Beckett qui, au soir de sa vie, fuyait une vie sociale futile. Dans le livre, il invente des archives personnelles, histoire de brouiller un peu plus les pistes. Quand un metteur en scène suédois veut faire jouer « En attendant Godot » par des détenus, le voilà prêt à inventer de nouveaux personnages pour que tous puissent jouer…

 Extraits

Pages 19 et 20 : « “Ils veulent des archives ? Alors je vais leur en fabriquer”. Un sourire est apparu sur ces lèvres.  C’est ainsi que Samuel Beckett m’a enrôlé dans sa fabrication d’archives. C’était une farce, j’étais payé pour y participer et je côtoyais un grand écrivain. Que demander de plus ? Mon statut d’anthropologue me rapprochait des chercheurs qui collectaient tous les documents possibles le concernant. Mais j’allais jouer contre mon camp et j’en étais heureux. Je me retrouvais du côté du spécimen, un spécimen rétif et malin qui était actif face aux constructions que l’on ferait de lui dans le futur. »

Pages 61-62 : « Comme nous passions devant un Monoprix, Beckett s’est arrêté. Il est entré dans le magasin. Je l’ai suivi. Il a pris un chariot et a dit “un supermarché c’est plein de morts, mais c’est plus coloré et plus beau qu’un cimetière. Il faudrait coller de petites étiquettes sur les produits, avec le nom des morts”. Il n’avait pas d’étiquettes sous la main, alors il a sorti un stylo de sa poche. Il a écrit Baudelaire sur une conserve de raviolis, Cortazar sur une boîte de céréales, Jean du Chas sur une banane, Durkheim sur un mot de mouchoirs, Maurice Leblanc sur un flacon de shampoing, Simone de Beauvoir sur une bouteille de lait, Saint-Saëns sur un melon, Man Ray sur un paquet de café. Je ne sais pas ce que Beckett voulait exprimer par là. Peut-être était-ce une manière de réintégrer les morts dans notre quotidien. »

Page 79 : « Il faut abandonner l’idée d’être compris et bien lu. Le malentendu est la règle. Si on peut vivre en partie grâce à ce malentendu, alors tant mieux. C’est la paradoxale félicité des artistes. »

 Mon avis

Martin Page est capable d’inventer des histoires insensées et de nous les raconter avec aplomb et réalisme. On le suit sans broncher. Avec une certaine délectation. J’avais lu ses premiers romans avant de m’éloigner de son univers. J »y suis revenue conquise et amusée par sa façon de dire, d’écrire.  Une façon aussi de casser les mythes et les images policées.

« L’apiculture selon Samuel Beckett », de Martin Page, Editions de l’Olivier, 12€.

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