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Un livre à ne mettre dans toutes les mains. Mais quel livre ! Margaux Fragoso signe avec « Tigre, tigre ! » un récit bouleversant et dérangeant sur la pédophilie. Comme si Lolita prenait enfin la parole.

crédit : lormari (www.babelio.com)

La trentenaire née dans le New Jersey, aux Etats-Unis, y raconte une vie. La sienne. Celle d’une petite fille qui, pendant près de quinze ans va vivre sous la coupe d’un quinquagénaire qui va abuser d’elle.

Tout commence dans une piscine municipale. En été. Margaux a sept ans et commence à jouer avec un homme, Peter Curran, qui en a 51. Rapidement, cet homme invite la petite et sa mère à venir chez lui. Il vit avec une femme, les deux fils de celle-ci, des animaux et des souvenirs inavouables.

Pour Margaux, tout est comme dans un rêve. Ici, on joue avec elle, on la regarde. Sa mère, maniaco-dépressive, est régulièrement hospitalisée, son père, Porto-ricain hâbleur et violent,  travaille beaucoup et veille tellement à son image sociale qu’il néglige cette fillette.

Peter, lui, l’ancien vétéran au passé trouble et violent, va au fil des mois et des années, devenir l’ami, le père et l’amant de la fillette qui, à 8 ans, en tombe amoureuse.

Margaux Fragoso a écrit ce livre pour rester en vie. Pour s’en sortir.

Marie Darrieussecq, auteure française à succès, a traduit ce récit. Elle nous explique ici son travail de traduction sur ce récit.

Extraits

Pages 65-66 : « Nous avions aussi un puzzle de mille pièces auquel nous travaillions. Peter me donnait un rapide baiser sur les lèvres chaque fois que nous trouvions la bonne pièce, en vérifiant que personne ne regardait. Parfois Miguel ou Ricky venaient dans la cuisine pour chercher à manger, mais malheureusement ils étaient toujours bruyants, et ma mère aussi ; elle traînait des pieds en marchant. Peter insistait sur le fait que personne ne devait nous voir nous embrasser, parce que les gens sont tellement bizarres de nos jours – dans cette drôle d’époque où nous vivons, toute marque d’affection est suspecte ; quand il était petit, les pères embrassaient tout le temps leurs filles sur les lèvres. »

Pages 246-247 :« Donc, l’été de mes treize ans, j’assemblai Nina – mon chef d’oeuvre en matière de femme. Elle était hyper cool, elle était blasée. Poupée de papier. Farcie de colle. Vide dedans. Tellement belle. Elle était plus jeune que moi, plus vieille que moi. Jeune pousse et pluie ancienne. Elle était moi. Elle n’était pas moi. Ses cheveux étaient noirs de jais, comme ceux de Jessenia, comme ceux de Justine. Poupée de chiffon. Des os souples. Un bréchet de poulet qu’on pouvait tordre dans n’importe quel sens, et qui ne cassait pas. Solide, oui, solide. Une dure à cuire. […] Elle portait son néant comme si c’était quelque chose. »

Page 345 :« Et pourtant ce soir j’étais prête à être une mère et à avoir quelqu’un qui m’aime pour toujours, inconditionnellement. Prête à mettre en oeuvre le magnifique plan qui concrétiserait les rêves de Maman et de tante Bonnie, et le mien aussi. Les soeurs jumelles seraient réunies ; nous allions créer une famille harmonieuse et aimante là-bas dans l’Ohio. Même Papa serait heureux, parce qu’il pourrait enfin vivre comme il avait toujours voulu, libéré de ses deux fardeaux. Le sang et la douleur n’allaient pas m’arrêter ; j’étais forte. »

Mon avis

Pervers, grand malade, manipulateur … Les mots ont du mal à définir ce qu’aura été Peter Curran dans la vie de Margaux Fragoso. La petite fille s’est peu à peu transformée en adolescente torturée. Toujours  au bord du précipice.

Ce récit est fort car hypnotique. Et lyrique. On peut comprendre, on veut savoir comment Margaux peut s’en sortir. Par la mort ? Elle y a pensé. Mais c’est lui qui finira par se suicider. Un récit bouleversant.

« Tigre, tigre ! », de Margaux Fragoso, Flammarion, 21€.

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