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Il est de retour ! Qui donc ? Mais Jean Echenoz, voyons ! L’auteur fidèle aux  Editions de Minuit nous revient avec un roman, court et dense à la fois, sur la Première Guerre Mondiale, intitulé sobrement « 14 ».

 

Jean Echenoz, l’un de mes auteurs français préférés, nous revient avec une drôle d’envie : celle de nous raconter la guerre, la Première Guerre mondiale, et ses dommages collatéraux en 124 pages seulement. Un exercice de style dans lequel, cette fois encore, il excelle.

Prix Médicis pour son roman « Cherokee », puis prix Goncourt pour « Je m’en vais », Jean Echenoz est du genre discret. Pas de grand discours chez cet homme dont chaque nouveau roman est pourtant un événement littéraire.

Ce fils de psychiatre qui a publié son premier roman en 1979, s’est construit un univers. Les mots y sont ciselés, choisis avec soin. Ses sujets, nés de son imagination, ou s’appuyant sur des personnages ayant existé, – on se souvient de « Ravel » en 2006, de « Courir » publié en 2008 et « Des éclairs » en 2010, qui constituent une suite de trois vies –,  distillent de l’humanité. Tout simplement.

L’histoire de « 14 » ? Elle est simple, tragique et cruelle. Nous sommes en août 1914, en Vendée. Le tocsin bat le rappel. Mobilisation générale.

Anthime, jeune comptable de 23 ans va partir. Avec lui, son frère aîné, sous-directeur de l’usine de chaussures et promis à Blanche, la fille unique du patron. Les deux hommes ne s’apprécient guère, ils aiment la même femme.

Anthime est mobilisé avec ses trois amis : Padioleau le bouche, Bossis, l’ équarisseur et Arcenel le bourrelier. Seuls deux rentreront vivants après quelque 500 jours sur le front. Mais pour quoi faire ?

 

Dans cette vidéo, Jean Echenoz comment est né ce nouveau roman

Extraits

 Page 31 :  » Ce capitaine, nommé Vayssière, était un jeune homme chétif à monocle, curieusement rouge et doté d’une voix molle, qu’Anthime n’avait jamais vu et dont la morphologie laissait mal distinguer d’où et comment avait pu naître et se développer, chez lui, une vocation combative. Vous reviendrez tous à la maison, a notamment promis le capitaine Vayssière en gonflant sa voix de toutes ses forces. Oui, nous reviendrons tous en Vendée. Un point essentiel, cependant. Si quelques hommes meurent à la guerre, c’est faute d’hygiène. Car ce ne sont pas les balles qui tuent, c’est la malpropreté qui est fatale et qu’il vous faut d’abord combattre. Donc lavez-vous, peignez-vous et vous n’avez rien à craindre. »

Pages 78-79 :  » On s’accroche à son fusil, à son couteau dont le métal oxydé, terni, bruni par les gaz ne luit plus qu’à peine sous l’éclat gelé des fusées éclairantes, dans l’air empesté par les chevaux décomposés, la putréfaction des hommes tombés puis, du côté de ceux qui tiennent encore à peu près droit dans la boue, l’odeur de leur pisse et de leur merde et de leur sueur, de leur crasse et de leur vomi, sans parler de cet effluve envahissant ce rance, de moisi, de vieux, alors qu’on est en principe à l’air libre sur le front. […] Tout cela ayant été décrit mille fois, peut-être n’est-il pas la peine de s’attarder encore sur cet opéra sordide et puant. Peut-être n’est-il d’ailleurs pas bien utile non plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d’autant moins quand on n’aime pas tellement l’opéra, même si comme lui c’est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles, comme lui cela fait beaucoup de bruit et souvent, à la longue, c’est assez ennuyeux. « 

 Page 105 : « Au retour d’Anthime, on l’avait étroitement surveillé pendant sa convalescence, on l’avait soigné, pansé, lavé, nourri, on avait contrôlé son sommeil. On, c’est-à-dire surtout Blanche qui d’abord lui a reproché doucement d’avoir maigri pendant ses cinq cents jours de front – sans même songer à décompter, à cet égard, les trois kilos et demi en moins que représente à peu près un bras perdu. »

Mon avis

Epure. Le nouveau roman d’Echenoz est un bijou d’épure et de concision qui parvient cependant à nous conduire jusque dans le quotidien des tranchées, dans le quotidien d’Anthime et ses camarades d’infortune. Chez Echenoz, la guerre défile en accéléré mais rien ne manque pourtant. Les images sont là.  Echenoz nous parle de la guerre à hauteur d’homme. Avec humanité. Et un brin d’humour, ce qui ne gâche rien. Pas la peine de vous le dire : lisez-le !

 « 14 », de Jean Echenoz, Les Editions de Minuit, 12,50€.

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