Flux pour
Articles
Commentaires

Tout commence par un enterrement. Celui d’Adèle. Adèle, la rescapée, Adèle la belle, Adèle qui voulait une autre vie que la sienne et qui, finalement, n’en a plus voulu…

En signant « A défaut d’Amérique », la romancière française Carole Zalberg achève sa trilogie des Tombeaux, qui retrace l’histoire d’une famille juive au XXe siècle en faisant revivre trois femmes disparues, Sabine, sa mère Emma et sa grand-mère Adèle.

Après « La mère horizontale » et « Et qu’on m’emporte », voici donc le troisième opus, qui peut d’ailleurs se lire indépendamment des deux précédents.

 

 

Cette fois encore, les femmes sont au coeur de l’histoire. La grande et la petite. Il y a donc Adèle qu’on enterre. Autour d’elle, sa famille. Et puis il y a Suzan, venue d’Amérique pour comprendre pourquoi cette femme que son père Stanley avait rencontrée à Paris après la guerre n’a finalement pas voulu qu’il l’épouse. Elle était veuve. Il était veuf. Suzan a voulu les faire se retrouver. A quel prix !

Parallèlement, c’est la plongée dans l’histoire familiale que nous suivons avec Fleur. Arrière-petite fille d’Adèle. Et nous voilà emmenés en Pologne. Les juifs sont opprimés, ils fuient. Pour les parents d’Adèle ce sera finalement Paris, à défaut d’Amérique…

Enfin, le roman nous laisse suivre Suzan dans sa quête d’identité. Avocate, fille d’une mère ayant quitté l’Europe et ses pogroms, divorcée sans enfant, Suzan se rapproche de Sophia, sa tante installée depuis si longtemps en Afrique du Sud où elle est devenue une figure de la lutte anti-apartheid. Une façon de se rapprocher de sa mère défunte. Et de découvrir une femme qu’elle ne soupçonnait pas.

Au final, un roman de femmes où se mêlent les destins sur trois continents et près d’un siècle. L’Afrique, terre de lutte pour la paix. L’Europe, terre d’exil et aussi d’accueil et enfin cette Amérique fantasmée. Une terre promise… et finalement pas.

Hantée par la présence de l’Histoire, cette famille cherche l’apaisement. Chaque génération a fait ce qu’elle a pu avec ce que lui a laissé la précédente. Nostalgie douloureuse et délicieuse…

Extraits

Page 78 : «  Adèle, oui, c’est vrai ma chérie, elle m’avait tout de suite tapé dans l’oeil. Je ne sais plus si je t’ai raconté. Elle faisait la queue devant un magasin d’alimentation. Sacré beau brin de fille. On ne pouvait pas la louper. Stanley avait laissé son sourire s’épanouir et Suzan avait vu une Adèle gironde danser dans ses yeux. Mais elle n’était pas libre et j’ai appris à apprécier Louis aussi. En fait, j’adorais passer du temps avec eux. Il y avait toujours du monde, même si c’était petit. Ca vivait. Pas comme chez tes grands-parents. Quand je pense qu’Adèle et Louis venaient de perdre leur fils… « 

Page 186 :  » J’ai des bonnes amies qui m’en rapportaient, des romans américains, parce qu’elles, elles allaient là-bas voir de la famille ou juste visiter. Pas comme nous qui ne sommes jamais partis plus loin que l’Italie, et pour acheter des chaussures et des pull-overs à un bon prix, pas pour la dolce vita. Elle se tournait vers mon arrière-grand-père encore vivant et laissait peser le reproche quelques secondes. Lui haussait les épaules et continuait de cocher les numéros du tiercé. […]

Mon arrière-grand-mère n’avait pas encore vécu et épuisé en un clin d’oeil son rêve d’Amérique. En attendant, elle s’entraînait à dire bye-bye et how are you, elle notait du vocabulaire dans un petit carnet. C’était son évasion. »

Page 193 :  » Vérification faite – car elle a des dates une notion assez vague –, Suzan est née en même temps que l’apartheid. Alors que sa venue au monde engageait définitivement sa mère dans cette vie bourgeoise qui n’avait pas toujours été son rêve, loin s’en faut, naissait en Afrique du sud le système qui allait faire basculer Sophia de l’autre côté de l’opposition active, minoritaire et mal vue chez les Blancs d’alors, d’autant plus notable et voyante qu’elle serait conduite par une femme. Pis encore : par une femme juive. »

Mon avis

J’ai découvert avec ce roman l’univers de Carole Zalberg. Une fois le principe de la construction du livre adopté, – Fleur, Suzan  et un narrateur qui raconte la vie d’Adèle se succèdent au fil des chapitres –, et une rapide gymnastique sur la généalogie familiale imaginée,  on se laisse gagner par l’histoire et les personnages, résolument attachants. Ils nous parlent d’exil, de liberté, de choix et d’amour. Un livre touchant, bien écrit… et qui vous donne envie de plonger dans les romans précédents de l’auteure qui figure aujourd’hui parmi les auteurs français contemporains à suivre.

 » A défaut d’Amérique », de Carole Zalberg, Actes Sud, 18,50€

 

 

Laisser un commentaire

*