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Le temps passé à lire un roman a-t-il à voir avec ses qualités ? Quand vous n’arrivez pas à lâcher un livre, c’est un signe, non ?

La preuve avec « Vie animale« , premier roman de Justin Torres, auteur américain qui signe là son premier roman. Je l’ai lu d’une traite, sous le soleil breton ( si, si, j’en vois déjà qui ricanent ).

Justin Torres, qui a publié des textes dans la revue Granta et le New Yorker a été, avec ce roman, la révélation de la rentrée littéraire de l’autre côté de l’Atlantique. Né en 1981, le jeune auteur a eu une enfance passablement malmenée. Peut-être une piste pour comprendre son premier roman…

Le livre, de 140 pages, est constitué de chapitres courts, comme autant d’uppercuts. Autant d’histoires, comme des nouvelles en quelque sorte, qui racontent l’histoire d’une famille en vrac. Une famille composée d’une mère blanche, Ma, et d’un père porto-ricain, Paps ainsi que de trois enfants métis : Manny, 10 ans, Joel, 8 ans et le narrateur, tout juste âgé de 7 ans. Les parents, tous deux adolescents quand ils se sont rencontrés, se sont mariés au Texas avant de s’installer dans ce quartier bigarré de New-York.

Leur vie, c’est Brooklyn, les problèmes d’argent, la violence, le frigo pas toujours plein, les coups qui pleuvent. Dans cet univers, celui d’une famille pauvre et marginale à la dérive, les trois fils sont liés comme les doigts de la main, multipliant les bêtises plus ou moins graves. D’ailleurs, il faut attendre la dernière partie du livre pour que le narrateur use du « je ». Jusque-là, il disait « on ». Mais il grandit, et ses « différences » vont le mettre à part. Définitivement.

Les trois pré-adolescents sont brutaux mais rigolards. Quand le père danse, ils l’imitent. Quand leur mère dort, ils apprennent à vivre dans le silence. S’adaptent tout le temps. Toujours à l’affût. Comme des animaux. Mais il y a beaucoup d’amour entre eux et leurs parents. Malgré tout.

Au fil des pages, le quotidien d’une famille donc. Comme filmé au plus près. Si le Septième art a fait de la caméra au poing un genre à part entière, Justin Torres a opté pour une écriture  » stylo au poing ».  Au plus près de ses personnages fracassés.

Découvrez l’auteur dans une vidéo.

 

Extraits

 Page 12-13 : « Toujours plus, on cherchait toujours plus avec avidité. Mais à certains moments, des moments tranquilles, quand notre mère dormait, quand elle n’avait pas dormi depuis deux jours et que tout bruit, tout craquement dans l’escalier, toute porte qui claque, tout rire étouffé, toute voix, risquait de la réveiller, ces matins d’un calme cristallin, quand on voulait la protéger, cette oie égarée qui trébuchait, qui s’épanchait sans cesse, avec ses maux de dos, ses maux de tête et son allure fatiguée, tellement fatiguée, cette créature déracinée de Brooklyn, cette grande gueule qui larmoyait dès qu’elle nous disait qu’elle nous aimait, avec son amour compliqué, exigeant, sa chaleur […] ».

Page 85 : « […] La conversation s’est tarie, et il y a eu des silences comme si chacun de nous se détachait des autres; peut-être qu’on pensait à manger, qu’on cherchait à savoir si on avait peur, et si oui, de quoi, mais peut-être aussi qu’on pensait à Paps. Ma a essayé de continuer à parler, de maintenir tout ça – le silence, la faim, la pensée de Paps – à distance, mais elle ne savait plus quoi dire.

 » Bon, elle a fini par lancer, qu’est-ce qu’on fait ? »

Et elle a attendu.

« On peut rentrer à la maison, mais on n’est pas obligés. On n’est pas obligés de rentrer. On peut partir pour toujours. C’est possible. Mais vous devez me dire ce que je dois faire. »

Personne n’a rien dit, j’ai essayé d’écouter des bruits lointains et de deviner ce que c’était – des animaux, des satellites. Les bruits proches, c’était plus facile ; Ma qui butait sur les mots, qui avait un chat dans la gorge, et la respiration tendue de mes frères.

« Mon Dieu, a soufflé Ma. Dites quelque chose ! Vous croyez que c’est facile ?

- Quelque chose », a répété Joel, et Manny a tendu le bras pour le frapper.

Ma a mis la clé sur le contact et a démarré. On a repris le même chemin en sens inverse, et pour finir, on s’est garés dans l’allée de la maison. « 

 

Pages 99 : « Il m’a pris le menton et a tourné mon visage vers lui. « Mais maintenant, je sais que Dieu a semé du propre dans le sale. Toi, Joel et moi, on est juste une poignée de graines que Dieu a jetées dans la boue et le crottin de cheval. On est tout seuls. « 

Il a passé un bras et une jambe autour de moi et il est resté silencieux quelques instants; j’ai dérivé dans le sommeil. Au bout d’un moment, Manny a recommencé, il se parlait à lui-même, il complotait, il disait :  » Ce qu’il faut faire, c’est trouver un moyen d’inverser la gravité pour tomber vers le ciel et traverser les nuages jusqu’au paradis. « 

 Mon avis

Voilà un premier roman assurément prometteur ! L’histoire, pas gaie il faut bien le dire, vous prend pour ne plus vous lâcher. Jusqu’à la fin. Ce roman n’est pas conventionnel dans sa forme ( des chapitres qui vivent indépendamment) ni dans son fond. Submergés par les vicissitudes de la vie, les personnages tentent de surnager. En vain.  Reste l’amour. Leur seule arme. Même s’ils s’aiment mal. A lire absolument.

 « Vie animale », de Justin Torres, Editions de l’Olivier, 18€.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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