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Un coup de poing. Un uppercut. Et un livre qui vous oblige à, finalement, vous satisfaire de votre sort. Voilà l’impression que laisse le dernier livre de Lionel Shriver, « Tout ça pour quoi« , publié fin 2011 chez Belfond.

Lionel Shriver est née en 1957 en Caroline du Nord. Elle s’appelait alors Margaret Ann Shriver. Auteure et journaliste américaine, elle a été élevée dans une famille où les valeurs religieuses étaient particulièrement respectées : son père était pasteur presbytérien. C’est à 15 ans que la jeune fille décide de changer de prénom. Elle a fait ses études à New-York. Diplômée de Columbia, elle a été professeur avant de parcourir le monde. Elle a notamment vécu en Israël, à Bangkok, à Nairobi et à Belfast. Elle vit aujourd’hui à Londres.

En 2005, elle gagne l’Orange Prize  pour « We need to talk about Kevin », adapté au cinéma en 2011 d’ailleurs par Lynne Ramsay.

Elle est aussi l’auteur de « La double vie d’Irina », et « Double faute« .

Dans « Tout ça pour quoi« , l’auteure à succès s’attaque cette fois au système de santé américain et ses ravages sur la middle-class. Au fil des pages, c’est à une descente aux enfers, tant morale que financière, à laquelle assiste le lecteur.

L’histoire ? C’est celle de Shep Knacker, un self-made man qui a monté son entreprise de dépannage-bricolage avant de la revendre pour une somme rondelette … et de continuer à y travailler pour un imbécile arriviste. Shep est marié à Glynis, une artiste un peu ratée qui s’est spécialisée dans le travail du métal. Ils sont deux enfants, Amelia et Zacharie. Ils coulent une vie assez tranquille grâce à la gestion de Shep. Puis, un jour, tout bascule. Alors que Shep a tout organisé pour emmener sa famille dans « l’Outre-vie« , – une vie qu’il veut  passer en Afrique à vivre de peu tout en prenant justement le temps de vivre –, sa femme lui annonce qu’on lui a découvert un cancer. Rare, provoqué par l’amiante. La maladie est déjà à un stade avancé. Pas question d’attendre. Il faut entamer un protocole lourd… et ruineux.

Autour de ce noyau familial, il a aussi Jackson, le meilleur ami de Shep. Son collègue aussi. Jackson est marié à Carol, et père de Flicka et Heather. L’ainée des filles est atteinte depuis sa naissance d’une maladie dégénérative qui tend le quotidien de toute la famille très pesant.

Le choix de la fuite

remis en question

Shep a également une soeur Beryl, égoïste et documentariste sans talent. Et un père, Gabriel, pasteur.

Au fil des 526 pages, nous voilà embarqués dans une histoire, une radioscopie sans concession de notre société, du couple, de la famille, de la maladie… et du rôle de l’argent dans notre vie.

Shep a toujours pourvu aux besoins des siens. Sans rechigner. La vente de son entreprise lui a permis d’entretenir sa femme et son fils, mais aussi sa fille, sa soeur et son père. Quand la maladie de Glynis est annoncée, le sens des priorités va  changer. Reste à savoir comment alors que le père de famille voulait en finir avec cette vie consumériste pour s’installer sur l’ile de Pemba, au large de Zanzibar.

Impitoyable, la société américaine, va guider ses choix. De l’autre côté de l’Atlantique, il faut de l’argent pour être soigné ( à moins d’être âgé). Il faut de l’argent pour être écouté, suivi dans un protocole médical. Pas d’Etat-Providence.

Au fil des pages, le compte de Shep, dont on peut voir le montant fondre chapitre après chapitre, va s’assécher. Avant qu’un retournement de situation plein de cynisme l’emporte après le licenciement de Shep. Mais ça, vous le lirez vous-même !

Extraits

Page 27 : « Gagner de l’argent, elle n’y était jamais arrivée. Une fois Amelia et Zach scolarisés dans le privé, si Shep avait fait remarquer qu’elle ne mettait pas un sous au pot commun, Glynis serait entrée dans une rage froide. ( Il n’avais rien dite, et pour cause !) Mais pour lui, le revenu zéro dollar de sa moitié n’était pas une objection : c’était un fait. Qu’une fois marié Shep n’ait pas imaginé une seconde devoir tenir à bout de bras et à perpétuité une maisonnée était également un fait. Il avait les moyens matériels d’assumer la maisonnée. Il l’avait donc fait.« 

Page 29 : « Shep, par nature, était au bonheur alors qu’il aurait pu avoir matière à se plaindre, en admettant qu’il y eût été enclin. Il entretenait sa femme et son fils. Il subvenait aux besoins de sa file Amelia, qui avait portant quitté l’université depuis trois ans. Il aidait son père en veillant à ce que le vieux pasteur retraité n’en sache rien, pour ménager sa fierté. Il avait consenti plusieurs « prêts » (dénomination officielle) à sa soeur Beryl, qui ne le remboursait jamais et le solliciterait encore ( ne considérant pas cet argent comme un cadeau, elle ne le remerciait pas et ne se sentait nullement redevable). Il avait payé intégralement la facture lors des funérailles de sa mère, et puisque personne n’avait semblé le remarquer, il l’avait oublié. Dans une famille, chaque membre a un rôle à tenir, et celui de Shpe était de payer. Comme chacun paraissait considérer cela comme normal, alors lui aussi.« 

 Page 106 : « Car, selon Jackson, le gouvernement était devenu une société à but lucratif, celle dont rêvait n’importe quel magnat de l’industrie : un monopole naturel qui pouvait faire payer le prix qu’il voulait sans être obligé de fournir en échange un produit de quelque type que ce soit. Une entreprise à qui des millions de clients étaient obligés d’acheter ce produit mythique sous peine de se retrouver au pain sec derrière des barreaux. Puisque tous les politiciens, par définition, se goinfraient, aucun n’avait la moindre motivation pour réduire cette corporation arrogante qui s’arrogeait le droit de ne rien fabriquer. A part quelques grommellements occasionnels et peu convaincus des conservateurs, depuis plusieurs décennies, la société anonyme USA Inc. était en pleine expansion. »

 

 Mon avis

Une fois fermé, ce livre va vous occuper un coin de l’esprit pendant un moment, croyez-moi. Et pour cause. Pendant plus d’un an, au coeur de notre société contemporaine, nous suivions le délitement d’une famille et plus globalement d’une classe sociale. Relation employé-patron, relation homme-femme, relation parent-enfant, relation frère-soeur mais aussi ami-ami… tout y passe. Et tout se transforme tandis que la maladie de Glynis,  – dont l’auteure ne nous épargne pas le moindre détail –, progresse et que le compte en banque bien fourni de Shep, se désagrège. C’est incisif et féroce. Drôle aussi. Avec une fin émouvante. Mais une chose est sûre, le rêve américain n’existe plus…

« Tout ça pour quoi », de Lionel Shriver, aux éditions Belfond, 23€ ( traduction de Michèle Lévy-Bram).

 

 

 

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