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Jean Hatzfeld, je le connaissais surtout pour ces livres coups de poing sur le génocide rwandais ( « Dans le nu de la vie »,  » Une saison de machettes » et  » La stratégie des antilopes « ). Pas pour ses romans. En lisant  » Où en est la nuit », je me suis aventurée dans l’univers de ce journaliste et grand reporter. Avec délice.

L’histoire ? C’est celle de Frédéric, journaliste qui, à la frontière de l’Ethiopie et de la Somalie  » couvre » une guerre aux confins du désert. Là, ce féru de sport rencontre une ancienne gloire des pistes, Ayanleh Makeda. Un ange déchu plutôt. Après avoir collectionné les titres, l’homme a été coupé dans son élan pour cause de dopage. Sans pourtant avoir pu ( ou voulu?) se défendre.

La légende des hauts plateaux n’est plus qu’on soldat. Comme les autres. Mais ses muscles lui font mal par manque d’entraînement, lui qui courait des heures durant. Terminée la vie à Paris dans les beaux quartiers, finie la vie au sein d’une « écurie » de champions financée par un magnat …

Au fil des pages, c’est donc l’histoire de cet homme, de sa femme, la belle et troublante Tirunesh que Frédéric raconte. Entre deux reportages, ce dernier mène une enquête journalistique qui  va le plonger dans les heures glorieuses de l’athlétisme africain. Pour comprendre le destin singulier de ce coureur aux médailles d’or mais un brin mystique.

Depuis son plus jeune âge Ayanleh Makeda a couru. Page 53 : «  Chez nous, beaucoup de gamins courent pour quitter le champ de la maison de torchis, avec parfois la rage de vaincre, comme vous dites, ou plutôt l’énergie du désespoir […] Ayanleh n’est pas de ceux-là, il court pour le plaisir de traverser l’espace. « 

On suit le coureur. On le laisse nous entraîner dans les entrailles de l’Afrique. Celle de la transmission et du respect des aînés. Dans l’ombre de Gebrelassie. Avant de pouvoir le dépasser. Enfin.

Et puis c’est le départ pour les marathons, l’Europe, les Etats-Unis… la vie autrement. En retrouvant les personnages-clés de cette ascension et de cette déchéance, Frédéric nous dresse une galerie de portraits attachants. La masseuse Hannah, le prêtre-entraîneur, le magnat de l’Ishim club, etc. Et enfin la vérité éclate sur la raison véritable de son contrôle positif au dopage. Triste. Cinglante. Ayanleh aurait pu se battre.

Blessé sur le front, c’est encore Frédéric qui le retrouve ensuite à faire des petits boulots. Si loin du rêve qu’il avait vécu éveillé pourtant…

Sans la moindre amertume ?

Page 204 (dialogue entre Frédéric et Tirunesh) :  » – J’ose vous poser cette question. Vous en voulez aux Blancs, pour ce qui est arrivé à Ayanleh ?

– En vouloir n’est pas le mot approprié. Les Blancs imposent leurs visions et leurs règles en toute chose, ils manoeuvrent le monde pour leur bon plaisir, ils abiment et ils soulagent, ou l’inverse, c’est leur nature. Mais ils n’obligent personne à participer, en tout cas pas aux courses.

– Pour ces médailles, ce n’est pas dommage ?

– Ses médailles, le comité olympique ne va pas lui reprendre parce qu’il les a déjà vendues sur Facebook, avant de supprimer sa page, dit en riant Tirunesh. C’est même ainsi qu’il a acheté ses deux derniers chameaux.

La fierté, l’Histoire… Plus tard, les enfants…

– La fierté, c’était de courir comme avant lui des générations d’ancêtres, de perpétuer une tradition d’importance, de se frayer un passage d’une allure très remarquable dans l’Histoire des marathons. Oui, de courir. « 

 

Au final, Jean Hatzfeld livre là un texte fort, vivant. Deux mondes s’y opposent. Deux visions d’une même vie. Un roman qui plaira aux férus de course à pied ( qu’ils se contentent de la regarder à travers la boîte à images ou qu’ils la pratiquent vraiment ! ), aux amoureux de l’Afrique dans toutes ses différences et aux lecteurs sensibles à la petite musique des mots.

 » Où en est la nuit », de Jean Hatzfeld, Gallimard, 16,90€.

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