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Coup de poing. Voilà ce que m’inspire le premier roman d’Elisabeth Filhol,  » La Centrale  » sorti en 2010 et qui sera disponible chez Folio en poche dès ce jeudi 6 octobre 2011.  Six mois après la catastrophe de Fukushima et en plein débat pro et anti-nucléaire, lire ce court roman est l’occasion de plonger dans l’univers des travailleurs du nucléaire. Pas celui des agents EDF, statutaires. Mais celui des intérimaires, des saisonniers ambulants de l’arrêt de tranche qui se succèdent de mars à octobre à travers les centrales françaises. Yann et Loïc en font partie.

Deux parties,  » Chinon  » et  » Le Blayais »  pour raconter le quotidien de ces hommes qui pendant une période limitée pénètrent les centrales pour les nettoyer. Quitte à recevoir dans le corps un taux d’irradiation beaucoup trop élevé… qui vous met alors sur la touche pour d’autres contrats. Adréaline, frisson du danger, salaire élevé… toutes les raisons sont bonnes même quand le CV ne suit pas. Reste cependant à vivre avec ça.

Page 60.  » Travailleur DATR. Un soir, tu rentres chez toi, tu es au taquet. Tu as dépassé le quota de dose réglementaire. Ca peut arriver n’importe quand, à n’importe qui – sous-entendu, même à quelqu’un comme lui, Jean-Yves, qui me parle du haut de ses vingt-cinq ans de pratique. Quand ça arrive, le coup de massue, tu le prends tel quel, sans broncher […] D’en être arrivé là, à vendre son corps au prix du kilo de viande, on lui en serait presque reconnaissant, au corps, de nous imposer ça. « 

Yann, le narrateur de ce texte vif, tranchant et mené tambour battant, a pris une surdose. Plus question de rentrer en zone sécurisée. A lui désormais de se débrouiller. De trouver autre chose… et de financer lui-même sa reconversion. Il deviendra agent Sécurité et radioprotection.

Page 63.  » Parce qu’une agence s’engage, on se réjouit un peu vite. Chinon, le Blayais, Tricastin, j’avais trois mois de visibilité, j’étais content. Il me fait la remarque : “ Aujourd’hui tu as douze mois devant toi. ”. Sous-entendu, douze mois d’interdiction d’accès qu’il va falloir mettre à profit. Facile à dire. Douze mois ferme qur un geste idiot. Curieux d’y voie un tremplin. Et en même temps, abandonner le métier, tourner la page, à quoi bon ? L’industrie nucléaire plutôt que le bâtiment ou l’automobile, certains y trouvent leur compte. La preuve, on en croise tous les jours qui pourraient changer de vie, ils ont eu leur lot de galères, et pourtant ils sont là, qui en redemandent. Qu’est-ce que les attire ? « 

Dans une agence d’intérim, à lui de se battre pour autre chose. La Centrale l’a avalé. Puis recraché. Sans plus s’en inquiéter.

Page 88 :  » Je reprends mon parcours jusqu’à Chinon, le contenu, les perspectives, l’incident de la semaine dernière, sans trop entrer dans les détails, quelques explications quand même, histoire d’appuyer ma demande, parce que des emplois propres en arrêt de tranche, sans risque d’irradiation, il y en a peu. Et pour ceux qui existent, comme magasinier ou agent de surveillance, la concurrence est rude. « 

Au fil des 141 pages, On suit Yann. Dans une caravane, un camping-car. Avec ses collègues qui, le temps d’un arrêt de tranche laissent familles et hobbies pour gagner de l’argent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Tout le temps. Jusqu’à ne plus en pouvoir. Jusqu’au suicide. La première page s’ouvre d’ailleurs sur les trois suicides de statutaires que le CNPE de Chinon a enregistré en six mois il y a plusieurs années.

Bref, un roman qui claque, qui ouvre le lecteur à un monde particulier mais finalement proche de nous, familier dans notre paysage. A plusieurs reprises, j’ai poussé la porte du CNPE de Chinon pour y faire des articles sans savoir ce qui pouvait se passer pendant un arrêt de tranche. Qui pousse à refléchir. Tchernobyl n’est pas si vieux…

 » La Centrale », Elisabeth Filhol, P.O.L. , 14,50€ et en Folio Poche à 5,10€ d’ici quelques jours.

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