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Un objet littéraire non-identifié. Voilà ce que j’ai pensé en refermant  » Sols » de Laurent Cohen. Le livre a paru l’an dernier chez Actes Sud qui a d’ailleurs modifié son format habituel pour répondre aux exigences de ce roman déroutant. Il a fallu la mise en place du club de lecture à la médiathèque de Romorantin pour que je découvre Laurent Cohen et ce premier roman.

L’histoire ? Pas simple à résumer. D’abord il y a S.G. Universitaire, théologien, il est spécialiste des anges. Il vit avec une jeune rentière Polly. Puis il y a Loïc Rothman, historien et spécialiste de la France de Vichy. Au point d’en avoir perdu la tête, d’avoir dû arrêter de donner de cours, d’avoir été interné… Aujourd’hui, il travaille dans à l’Institut Braque et tente de se remettre du départ de sa femme.

Le prétexte à la rencontre entre ces deux érudits : un texte. Découvert par le second lors de l’arrivée du fonds Nimier à l’institut Braque. Un texte resté anonyme mais qui raconte les années de la Deuxième Guerre mondiale vécue par un homme, qui se fait alors appeler Valéry Danteuil. Il est né à Jérusalem. Spécialiste des religions, il anime des émissions à la radio avant de se terrer chez les amis, en attendant de rejoindre la Syrie. Loïc Rothman estime ne pas disposer de toutes les clés pour comprendre ce texte. Il se rapproche donc de S.G. La deuxième partie du roman ( court par ailleurs) est ainsi consacrée à ce texte. Le lecteur plonge dans ce récit, un peu gêné quand même par les explications, les notes des deux spécialistes. Nous voilà au coeur de la réflexion historique et religieuse, au coeur des textes originels… Sans pourtant savoir où tout cela nous mène.

Et les dernières pages ne nous sortant pas davantage du mystère. Cette dernière partie est écrite par Mademoiselle Nobs, qui travaille avec Loïc à l’Institut Braque. Elle met en lumière les manques, les approximations dont S.G. et Loïc ont fait preuve, selon elle, dans leur travail du texte, dans l’exegèse du récit de Valéry Danteuil. Loïc, lui, a à nouveau été interné…

Un extrait, page 39. S.G. viennent de se rencontrer :  » Au demeurant, l’Histoire – qu’il prétendait être sa profession – était une chose dont je m’étais toujours méfié. Parce qu’au recensement des faits, aux témoignages qui ont pour cadre le temps historique, politique – je préfère les événements sertis dans le temps subjectif, dans les temps de l’âme et dans le monde imaginal, mais au lieu de le lui dire je m’entendis déclarer qu’à ma manière, je fais de l’histoire. »

Puis, page 91 :  » Vers la fin d’avril, Loïc et moi décidâmes de nous atteler à l’édition du texte que nous donnons à lire ici, en fin de volume. Pour permettre au lecteur de disposer en simultané de nos deux commentaires, qui se déploient pourtant dans des registres très différents – c’est naturellement moi qui ai suggéré d’adopter le modèle de pagination en vigueur dans les volumes du Talmud de Babylone, où le texte principal est placé au centre, entouré de chaque côté par des marges destinées à un premier commentaire, et au-dessus duquel apparaît un second appareil de notes . « 

Un livre savant, érudit qui impose à son lecteur d’être attentif. Dommage cependant que la construction du livre déroute un brin !

Et pour finir un extrait du texte en question, page 103. L’occasion de rencontrer son auteur, un personnage énigmatique.  » Depuis mon arrivée en France, j’avais conjugué les identités ; j’ étais né plusieurs fois, en divers endroits, sans oublier les pseudonymes que je m’inventais, d’un radio à l’autre, en fonction des sujets que j’y traitais. […] Ce plaisir, j’en ai clairement conscience, tenait à un étrange privilège, qui est de résider illégalement sur un territoire, parmi une nation, non pas en s’y terrant, mais en s’y exposant, comme la radio me permettait de le faire. J’étais, moi, ce Français falsifié, cet anti-citoyen, j’étais le « singe  » contre lequel Brasillach prévenait ses lecteurs. « 

Pas certaine de vouloir vous le conseiller ! Ce livre aura été pour moi une découverte assez insolite. A réserver aux lecteurs qui sont en quête d’un savoir et pas seulement d’un agréable moment de détente !

 » Sols » de Laurent Cohen, Actes Sud, 18,80€.

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