Mêler deux histoires. La première est familiale. Et honteuse dans cette famille de commerçants de l’arrière-pays niçois. La seconde se passe entre la France et les Etats-Unis, dans des laboratoires. Dans son premier roman, Anthony Passeron a choisi de raconter l’histoire de son oncle, Désiré. Mort du sida. Comme sa femme Brigitte et sa fille, Emilie.
Lui, le fils préféré, qui n’a jamais émis le souhait de reprendre la boucherie familiale, a découvert l’héroïne, est devenu accro. Toxicomane, il est tombé malade à cause de l’échange de seringues. Il fait alors partie de ces « enfants endormis » que l’on retrouvait dans les rues de Nice avec la seringue toujours piquée dans le bras…
Dans sa famille, c’est impossible à surmonter, à assumer. Entre le déni de la mère de Désiré et le silence, pesant, de son père. Tandis que son frère (le père de l’auteur) essaye d’être présent… Sans tout comprendre. Parce que trop d’informations manquent encore, parce qu’on parle du « cancer gay », parce qu’il s’agit d’une maladie mortelle engluée dans la honte encore…
Alors, après chaque chapitre consacré à la vie de cette famille au début des années 80, un autre s’ouvre en alternance, expliquant très précisément ce qui se passe chez les chercheurs. Ceux qui essaient de comprendre, de trouver l’origine de ce VIH sida et la course contre la montre dans laquelle ils se sont lancés des deux côtés de l’Atlantique.
Dans les deux histoires, un même sentiment de solitude. Désiré est malade et finira ses jours à l’hôpital à une époque où cette maladie encore peu connue fait si peur… C’est un paria. Et pas question que tout cela n’affecte l’aura de la famille au village.
Un roman de filiation, sensible et puissant qui nous rappelle que cette réalité n’est pas si lointaine dans le temps. C’était il y a 40 ans seulement.
Anthony Passeron est professeur de français et d’histoire-géographie. Il a 39 ans.
Il raconte ici l’histoire de son livre :
Extraits Page 49 : « Au cours de l’année 1982, le nombre de malades diagnostiqués en France progresse. Willy Rozenbaum a trouvé un poste à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, où il peut de nouveau recevoir ses patients. Aucun d’entre eux ne voit son état s’améliorer. Les décès s’accumulent.
L’infectiologue est habitué à côtoyer la mort, mais dans le cas de cette maladie, le condamnation des patients est double : une mort physique et aussi sociale. Les articles de presse, les reportages de télévision sur la maladie ont propagé la peur dans la population. Les proches sont rares au chevet des malades, qui sont réduits à leur homosexualité, leur toxicomanie, la plupart d’entre eux n’ayant plus que de rares médecins comme interlocuteurs. »
Page 136 :« La souffrance avait pris le pas sur le plaisir depuis un bon moment déjà. Après plusieurs semaines de défonce, peu après leur rencontre, le couple s’était calmé quelques jours. Et puis ils s’étaient réveillés un matin, fatigués, fiévreux et courbaturés. Ils n’étaient pas malades à proprement parler. L’héroïne les appelait. C’était la première fois qu’ils s’étaient sentis à sa merci. Cette sensation ne les avait plus jamais lâchés. ils avaient entamé une chute sans fin. Incapables aujourd’hui d’aller travailler, ils se retrouvaient privés de salaires. Il n’était plus question de plaisir, de transe, ni de cette sorte d’expérience transcendantale que Désiré avait découverte, un soir de fête, à Amsterdam […] «
Page 265 :« Un dimanche, quelques mois après l’enterrement de notre cousine, alors que mon père bricolait des étagères dans le garage, mon frère et moi l’avons soudain entendu hurler des injures et briser une à une, à coups de pied et de poing, les planches de bois. Il n’a jamais soldé sa colère. Un jour, il a tout quitté, sa famille, la boucherie et le village.
Ma mère, encore aujourd’hui, n’est pas plus bavarde. Après le départ de mon père, elle a refait sa vie. Il ne reste chez elle, de cette époque, qu’un cadre posé à côté du téléphone que personne n’a le droit de toucher. Un cadre ornant la photographie d’une petite fille […]. »
Les enfants endormis, Anthony Passeron, Globe.