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Rentrée littéraire été/automne 2022

VIVANCE

Quelle claque ! Je n’avais pas lu Fief qui a valu, à David Lopez d’obtenir le prix du Livre Inter. C’était son premier roman. Autant dire que le second, Vivance, était particulièrement attendu. Alors J’y suis entrée. Vite. Et je ne l’ai plus lâché.

Impossible d’abandonner le narrateur, dont on ne connait ni le nom, ni l’âge exact, ni le parcours de vie dans les détails. Il est séparé, ne travaille pas ou plus. Aime les chats et plus particulièrement celui qui partage son maison, Cassius. Il a un vélo qui a aussi un p’tit nom, Séville. Un vélo qu’il va enfourcher. Et partir. D’abord pour retrouver Cassius qui a pris la fuite après les inondations.

Des semaines, des mois ? Sans autre boussole que celle de ces envies et des rencontres qu’il fait, il arpente un territoire – montagneux – dont on saura jamais le nom. Une échappée solitaire au milieu de gens paumés.

Au fil de son parcours, des rencontres dans la France des marges. Des hommes et des femmes : Denis, Noël, Maurice, Francine… Le narrateur leur parle, il les accompagne, il les fuit. Il les aime. Il s’allège aussi. Au propre comme au figuré. Il souffre aussi. Physiquement. Psychiquement. Et finira par rentrer. Plus riche. Plus affûté que jamais.

Plus vivant que jamais ? Le titre de ce roman extrêmement bien écrit, reprend une notion psychologique. La vivance ( le mot vivance vient du néologisme du mot espagnol vivencia) est une notion présente à notre esprit lors de toute séance de sophrologie et lors de chacune de ses étapes. Le principe est celui de la rencontre du corps et de la psyché à l’intérieur de la conscience. Cette rencontre, qui se produit en niveau sophronique, apporte un ou des changements parfois intimes et profonds.)

A 32 ans, David Lopez, issu du master de Création littéraire de l’université Paris 8, signe là un deuxième roman percutant. Rempli de petits riens et d’un grand tout.

 

David Lopez était l’invité de Rebecca Manzoni, en septembre, sur France Inter. L’émission est à découvrir ici : 

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/totemic/totemic-du-mardi-13-septembre-2022-7226880

Extraits

Page 111 : » Dehors la chaleur est écrasante, le soleil a atteint son zénith. La maison de Noël, en vieilles pierres, garde la fraîcheur, on y est bien. Il s’est isolé dans sa chambre, de la dépendance où je nettoie Séville j’entends sa télévision. Sans pouvoir distinguer les pots je crois reconnaître les ambiances sonores des documentaires animaliers de mon enfance, en particulier la voix du narrateur, son rythme, sa lenteur. Sa contemplation. C’est à peine si on s’est parlé depuis l’arbalète. J’ai annoncé que cette journée de repos était aussi l’occasion de me réorganiser, m’occuper de mon corps, de ma monture et de mon paquetage, alors j’ai échafaudé un plan en trois axes à base d’étirements des jambes, de nettoyage de la chaîne et de rangements des sacoches. Noël n’a plus été très loquace après ça. Je crois qu’il regrette d’être allé si loin dans ses confessions. Depuis que je suis sur ce vélo les autres me parlent tous de leurs désirs inassouvis. Ils sont beaucoup à se construire un horizon, pas si lointain, qu’ils parent d’une aura d’impossibilité, comme pour pouvoir le garder en réserve, sous le coude, un possible, un recours, une promesse. « 

Page 188 :« […] Marcher dans ce genre de petite ville inconnue me rappelle mes escapades avec Renata. Comme on prenait les routes départementales on aimait beaucoup s’arrêter dans les communes, investir des lieux que seuls fréquentent leurs habitués. On dépareillait dans le décor, la sensation de nouveauté était mutuelle. Avec Renata on s’est beaucoup aimés. On s’est détestés aussi, mais moins, raison pour laquelle ça a un peu duré. Elle n’était pas d’une beauté évidente, de celle qu’on identifie en photo, ces beautés figées relatives aux traits, à l’harmonie supposée conforme. »

Page 200 :« En vagabondant je me rends disponible à ce que les choses arrivent. Et là où beaucoup s’imaginent que ces choses abondent, beaucoup se trompent. Il n’arrive généralement rien. Je roule je roule je roule, les lignes blanches défilent, et les filles me klaxonnent sans s’arrêter. Je suis trop occupé pour m’échapper du réel. Il est trop dans mon corps pour que je puisse faire semblant de l’ignorer. Cette fille, à la terrasse, cette fille ensoleillée, c’est parce que mes pieds touchent terre que j’en suis curieux. Le sol me ramène au monde, le monde à la vie, la vie à mon corps, et mon corps à mon plus simple appareil. »

Vivance, David Lopez, Seuil, 19,50€

 

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