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Rentrée littéraire 

Une très (très) jolie découverte ! A chaque rentrée littéraire, je vise les premiers romans. Des années que je plonge allègrement dans leurs pages pour aller à la rencontre d’hommes et de femmes qui ont franchi le pas de l’écriture et de l’édition. Une aventure.

PIANO

 

Ce premier roman, « Piano ostinato », est un bijou.  Vraiment. Sorti le 3 janvier, alors que l’on se remettait à peine des agapes du réveillon, j’espère qu’il ne restera pas dans l’ombre des livres « poids lourds » de cette rentrée littéraire d’hiver.

Arrivé sur les tables des libraires sans tambour ni trompettes, voici un roman dont la petite musique devrait vous enchanter.

Son auteure, Ségolène Dargnies, est enseignante, professeure de lettres agrégée après avoir été journaliste.

 

 

L’histoire ? C’est celle de Gilles Sauvac, pianiste soliste. Celle d’un artiste dont la vie, si bien orchestrée, va pourtant basculer. A cause d’une douleur qui l’assaille au majeur, alors qu’il interprète le concerto en la mineur de Robert Schumann, un compositeur qu’il chérit depuis toujours. Une douleur dont il ne sait comment se débarrasser. Qui lui interdit de vivre de son art, d’exister en somme.

Mourir ? Il n’y parviendra pas. Nager des longueurs ? Pourquoi pas ? Gilles Sauvac va apprendre à nager, à regarder autrement sa vie et celles des gens qui l’entourent.

Là, dans cette piscine municipale, c’est un autre homme qui se dévoile. Qui entame une renaissance, à longueurs de bassin.

Au fil de ce roman, court, rythmé et divinement bien écrit, Ségolène Dargnies nous offre le portrait sensible d’un homme désemparé puis en quête, toujours habité.

Et l‘ostinato, vous savez ce que c’est ?  Il s’agit d’un procédé de composition musicale consistant à répéter obstinément une formule rythmique, mélodique ou harmonique accompagnant de manière immuable les différents éléments thématiques durant tout le morceau.

Extraits

 Page 15 :« On se serait étonné, quelques mois auparavant, d’apercevoir la petite tête de Gilles Sauvac déborder de la surface de l’eau au milieu de la population des bassins parisiens. Pas qu’il fût archi célèbre, non, mas tout de même, il eut ses petites heures de gloire, était réputé chez les spécialistes, il n’avait pas l’habitude de traîner dans ces lieux où barbotent de discrets anonymes. C’est vrai, moi-même je m’étonne de ma métamorphose, je suis devenu un quidam, je me démocratise, je m’autorévolutionne, pense-t-il en reprenant sa respiration à la troisième oscillation des bras. […] »

Pages 51-52 :« On reprend. Il est un peu moins de vingt-deux heures dans la salle. On entend encore deux, trois éternuements, puis silence complet et l’orchestre entame le deuxième mouvement du Concerto. La lenteur, c’est épineux, on n’y trompe jamais son monde, il faut se soucier d’articuler parfaitement, on ne souffrira aucun bégaiement. Ça joue. A un moment qui survient assez vite après le début du deuxième mouvement, on doit être une trentaine de mesures après le début, Gilles ressent une sorte de morsure, ou brûlure, au niveau du majeur droit, douleur discrète d’abord, mais qui s’installe confortablement, se plante là sans qu’on puisse en apparence la déloger et croît en intensité. Il faut être digne, les musiciens ont signé un contrat depuis la nuit des temps, leur serment d’Hippocrate à eux, on ne s’arrête pas au milieu d’une oeuvre, on tient coûte que coûte, on ne montre ni crainte, ni terreur, ni chagrin – pensez que vous êtes de jeunes duchesses, poudrées, perruquées, lui disait un de ses maîtres, en toute circonstance vous afficherez maintien de soi, buste tenu, mine radieuse, regard haut, avec un poil d’arrogance. »

Page 72 :« Au milieu de la pile de courrier qu’il n’ouvrait plus, il tomba un jour sur une enveloppe tamponnée d’un joli dessin bleuté à l’effigie de la Salpêtrière. Sur le rapport médical qu’il trouva à l’intérieur, il lut ces termes barbares, rédigés semble-t-il par le docteur S. : soupçon de dystonie focale du musicien. Et j’ai pensé à toi Bobby. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser, malgré mon peu d’attirance naturelle pour les spectres, que tu m’avais peut-être envoyé un sortilège, ta baguette de chef d’orchestre transformée en bâton de sorcier. Histoire de me faire sentir de quel bois tu te chauffes ? On ne joue pas ton Concerto impunément peut-être ? Quoi qu’il en soit, je ne fais aucun reproche, et tout est pardonné. »

« Piano ostinato », Ségolène Dargnies, Mercure de France, 9,80€

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