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Un silence qui tue…

Rentrée littéraire

 

MALHEUR DU BAS

 

Elle fait partie des 94 auteur(e)s qui, pour cette rentrée littéraire, publient leur premier roman. Une aventure. Une chance. Un tremplin.

Inès Bayard a 26 ans seulement et signe avec « Le malheur du bas » un premier opus suffocant. Dérangeant.

L’histoire ? Elle commence pourtant bien. Peut-être trop. Marie et Laurent forment un couple jeune, moderne, riche. Elle est cadre dans une banque, il est un avocat pénaliste dont le succès ne fait que grandir. Ils vivent à Paris. Débordés mais heureux.

Et puis, un soir, dans un parking, Marie est violée par son supérieur, dans la voiture de ce dernier. Elle n’en parlera pas. Et quand elle tombe enceinte, elle est persuadée qu’il ne peut s’agir que du fruit de cette relation non consentie.

 

 

Alors que l’époque est à #balancetonporc et #metoo, Marie, elle, garde le silence. Mais son corps parle, crie. C’est lui que la jeune auteure décrit de page en page. Tandis que le couple de Marie et Laurent prend l’eau, le petit Thomas subit la violence, verbalisée ou non, de sa propre mère. Une négligence qui préoccupe Laurent sans que jamais il ne puisse comprendre… et pour cause. Le roman s’ouvre sur un chapitre court. Terrible. Il relate, par le menu, les atroces souffrances dans lesquelles Laurent est décédé, dans sa cuisine. Attaché à sa chaise. Son petit garçon, lui, s’est empoisonné en goûtant à sa compote… Au fil des mois, Marie va se perdre. Et perdre pied.

Au final, un roman dans lequel j’ai eu un peu de mal à entrer ( à cause du style, je pense, plutôt moyen, il faut être honnête), mais que j’ai finalement apprécié. Pour la manière dont Inès Bayard aborde le corps et la résistance qu’il peut (ou pas) déployer face aux agressions extérieures. Pour la façon aussi dont elle évoque la sexualité au sein du couple. Difficile cependant pour moi de comprendre le silence assourdissant de Marie… A l’exception d’une lettre découverte heureusement par sa soeur. Mais trop tard.

Prometteur.

Extraits

 Page 57 : « Laurent revient, balançant le bac à poissons à moitié rempli entre ses mains. Il est content. Marie le trouve de plus en plus laid. Avec sa canne à pêche, son air béat de bonheur permanent, sa petite vie toute parfaite, elle a envie de lui cracher dessus, de lui enfoncer quelque chose au fond de la gorge. Dans ce tableau sans défauts visibles, il faut s’arrêter sur les détails. Personne n’a l’idée de le faire. Ils préfèrent la douce et rassurante surface des sentiments, lisse et souple, ne surtout pas discerner les taches noires, les dysfonctionnements, les tourments. »

Pages 143-144 :« Son désir pour lui la dégoûte. Elle lutte pour maintenir la sécheresse entre ses cuisses. Elle se démène de toutes ses forces pour conserver le tragique de ces secondes où elle a envie de tuer son fils, pour refréner ses pulsions sexuelles malsaines qui envahissent vicieusement le bas de son ventre. Elle se tourne et l’embrasse. Laurent est surpris. Du meurtre à l’amour, du sperme au sang, du désir à la mort, c’est bien la chair qui l’emporte. Epuisée, pénétrée, le corps souffrant, courbaturé par les mouvements physiques du corps de Laurent sur le sien, Marie halète comme une gentille petite chienne. A quoi bon la paix quand celle-ci n’alimente que la haine. »

Page 241 :« Marie se dit qu’elle a pris la bonne décision en choisissant le silence après son viol. Sa soeur ne lui a même pas demandé l’identité de son violeur. Pas une seule seconde, la question de l’agression sexuelle n’a été directement évoquée avec Roxane. Sa mère n’aurait elle non plus posé aucune question. En découvrant sa propre fille nageant dans sa crasse, elle n’a même pas été capable de lui demander une explication. Les faits étaient suffisants. Les conséquences visibles et irréparables. Tout le monde se meut dans le silence par précaution. Le viol disparaît dans l’actualité. La violence sourde, altérée, remise en cause d’une manière ou d’une autre, s’efface tout simplement à la surface du calvaire et de la mélancolie. Et chacun repart. »

« Le malheur du bas », Inès Bayard, Albin Michel, 18,50 €

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