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Rentrée littéraire

MISS SARAJEVO

 

 

Quelle joie de retrouver l’écriture et le style d’Ingrid Thobois ! J’ai découvert cette auteure au hasard d’une chronique dans un magazine féminin. C’était à propos du livre « Le plancher de Jeannot » dont vous pouvez retrouver le post ici.

Elle est de retour pour cette rentrée littéraire ( auteure de plusieurs romans, elle écrit aussi pour la jeunesse) avec « Miss Sarajevo », un roman puissant qui s’étale sur plusieurs décennies, entre Paris, Rouen et Sarajevo.

L’histoire ? C’est celle de Joaquim. On ne rencontre à vingt ans, en 1993. A Sarajevo. Au coeur de la guerre, donc. Là, armé de son seul appareil-photo, il découvre un monde.  Se confronte à la mort. Et le pays natal de celle qu’il aime, sa professeur, Ludmilla.

Au fil des semaines alors qu’il réapprend une certaine joie d’être au monde, installé dans une famille, il pense à la sienne. Une famille désunie, silencieuse qui n’a toujours pas trouvé les mots pour expliquer et adoucir la mort voulue de Viviane, sa soeur cadette, qui s’est jetée par la fenêtre de l’appartement familial, à Rouen.

Personne n’a su. Personne n’a vu.

 

On retrouvera Joaquim presque vingt-cinq ans plus tard. Il est devenu reporter de guerre. Son père vient de décéder. Et malgré la promesse qu’il s’était fait à lui-même, il reprend le Paris/Rouen pour rejoindre l’appartement familial. Condition sine qua non à l’ouverture de la succession. Vingt ans qu’il n’y a pas mis les pieds.

Joaquim est le seul « rescapé » de cette famille bourgeoise, mais bancale. Le temps d’un trajet en train, tout lui revient. Les souvenirs, les questions, le secrets et les états d’âme.

De page en page, une écriture juste et sensible. Au plus près des maux. Mais avec pudeur.

 

Ingrid Thobois, âgée de 38 ans et qui vit désormais à Paris, explique l’histoire de son nouveau roman ici  :

La chanson « Miss Sarajevo » de U2  et Luciano Pavarotti  c’est par là : 

Extraits

Page 19 : « On ne se tue pas par abandon de la lutte – les religions ont inventé la rhétorique de cette prétendue lâcheté. On se suicide et on dévore la vie au nom d’un seul et même scandale : l’exiguïté du couloir de temps qui nous est alloué, dans lequel il nous est permis d’avancer mais jamais de faire demi-tour, ni de nous arrêter. On se tue après avoir longuement soupesé la vie, analysé ses accélérations et décélérations, afflux et reflux sanguins dans la carotide, et la sensation de vide qui s’ensuit. »

Pages 63-64 :« Que sait-on du couple qui nous a enfantés ? De la manière dont ces deux-là se sont aimés ? Joaquim n’a aucun souvenir de ses parents s’embrassant, se photographiant. Il ne leur a connu ni amis ni confidents. Jamais un coup de téléphone à qui que ce soit pour s’ouvrir d’une joie, d’une peine, d’une question. Chez les Sirvins, la famille est un bloc. Fissuré de toutes parts, c’est encore un bloc. Le père, la mère, le frère et la soeur n’ont pas de vie propre. Ils surjouent la famille dans le coffrage du silence et vivent en autarcie dans les interstices du secret. Pour épicentre, il y a le corps effacé de Viviane, venu en remplacer un autre, ce qu’aucun des enfants ne sait. Cet autre, c’est l’enfant né à égale distance de Joaquim et de Viviane, jamais revenu de la maternité, et que les parents ont fait passer pour un souvenir inventé. Seul le père trouve à échapper au poids de ce tabou. Grâce à son métier,. Grâce à la chasse. Grâce à la course à pied. »

Page 134 :« Les snipers ont pris la voiture pour cible. Lorsque Vesna fait demi-tour sur deux roues, écrasant l’accélérateur tout en plongeant sa tête au ras du volant, ordonnant à Joaquim d’en faire autant, c’est à peine si le garçon comprend que l’amoncellement de gravats dans le rétroviseur est tout ce qu’il reste de la maison de Ludmilla. Plus loin, Vesna regarde sa montre, puis le ciel. L’avion qui a déposé Joaquim, et qui aurait pu le ramener ce soir à Split, est en train de s’effacer dans l’indifférence du coucher de soleil, imprimant au ciel quatre sillages sombres. Le prochain ne se posera pas à Sarajevo avant une semaine. Le soir est d’une beauté incompréhensible ».

« Miss Sarajevo », Ingrid Thobois, éditions Buchet-Chastel, 16 €

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