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Ce livre-là  n’est pas un roman. C’est une plongée dans l’horreur, un voyage au plus près d’une vérité. Et un terrible constat d’échec. Comment Dominique Cottrez a pu, le 2 juillet 2015, être condamnée par la cour d’assises du Nord à 9 ans de prison pour huit infanticides ( le plus important jamais découvert).

A 51 ans, cette femme obèse à la voix douce, a tenté d’expliquer. Mais, bouleversante de vulnérabilité comme l’ont raconté les chroniqueurs judiciaires, elle est cependant restée cadenassée dans ses mystères. Nombreux. Opaques.

La journaliste Ondine Millot, elle, a voulu comprendre. Pas pour faire du voyeurisme. Mais pour prévenir. Pour que cela n’arrive plus. Elle a écrit « Les monstres n’existent pas, au-delà du fait divers ». 

MONSTRES

Entre 1989 et 2000, Dominique Cottrez, mère de famille, aide-soignante, a caché huit grossesses à son entourage, et tué ses huit nouveau-nés. A chaque fois, elle a accouché seule et étouffé les bébés. Elle a gardé leurs corps à côté de son lit.

Ondine Millot rencontre Dominique Cottrez cinq ans après son arrestation. Une relation se noue, elles se revoient. Sans jugement, mais non plus sans indulgence, la journaliste cherche à comprendre  : l’enfance, les épreuves et le chemin qui ont mené aux crimes. Elle interroge la mère infanticide, son mari, ses deux filles adultes, ses proches.

Au fil des rencontres dans le petit studio occupé par Dominique Cottrez et son mari Pierre-Marie en attendant le procès, Ondine Millot va sonder, relier des fils d’une vie. Pas simple. Dominique Cottrez est une femme qui résume un demi-siècle de son existence en dix phrases. Une mère douce et attentive, une épouse dévouée, une aide-soignante si appréciée…

Au fil du temps, une amitié se tisse. Ondine Millot ne le cache pas. Mais n’excuse ni ne cautionne rien. Impossible. La clé réside-t-elle dans la petite enfance de Dominique ? L’enfant a été littéralement gavée. De fait, on ne l’entend pas, toujours contentée.

 

A l’âge adulte, la jeune femme continue à se cacher. Tombe amoureuse et enceinte. Sans le savoir. Sans pouvoir le dire. Humiliée alors que l’accouchement vient de commencer, elle mettra tout en oeuvre pour ne jamais plus se laisser ausculter par le corps médical. L’engrenage est en place. Elle tombera enceinte, accouchera seule, en silence. Etouffera chacun des bébés, les gardera au pied du lit conjugal. Deux ont pourtant été enterrés. Dominique Cottrez a toujours indiqué que ce n’était pas elle qui l’a fait. Un secret de plus dans cette affaire hors-normes.

Pendant l’instruction, elle expliquera avoir été victime d’inceste de la part de son père, pour finalement avouer, lors du procès, qu’elle a tout inventé. Séisme à l’audience, tsunami dans la famille. Dominique Cottrez restera, pour certains, inaccessible. Entre contradictions et revirements.

Son mari ne verra rien, ne demandera rien. Aujourd’hui encore, il attend qu’elle sorte de prison. Pour reprendre leur vie simple, entourés de leurs deux filles Emeline et Virginie, de leurs petits-enfants.

Au fil des pages et des discussions, une histoire se fait jour. Ondine Millot a rencontré les filles, les oncles et tantes de Dominique Cottrez. Ses avocats aussi. Tout comme des magistrats, des experts, les enquêteurs.

« Qualifier un criminel de monstre est un échec pour la société », explique Ondine Millot. Une raison suffisante pour plonger dans son livre. Terrible et passionnant.

 Retrouvez ici la chronique d’une partie du procès (« Le Monde »). 

http://urlz.fr/774Z

Ondine Millot explique sa démarche ici : 

 Extraits

 Page 71 :« Voilà pourquoi je revenais dans la bourgade humide près de Lens. Pourquoi je voulais y retourner jusqu’à comprendre ce qui avait mené à la mort les nouveau-nés de Dominique Cottrez. Leur mère n’était pas l’unique responsable. On ne naît pas meurtrier, on ne le devient pas tout seul. Ses parents, son mari, son entourage avaient joué leur part. Ses maternités cachées, sa détresse avaient grossi sous les yeux de tous. Si l’on refuse d’observer ces engrenages, on ne peut pas les empêcher. Voilà ce qui guidait mes pas jusqu’au petit studio : l’espoir d’aider à voir. D’aider à éviter, ne serait-ce qu’une fois. 

Mais je l’ai choisie, elle, m’ont fait remarquer mes amis, pourquoi ? J’avais couvert tant d’autres affaires, écrit d’autres tragédies. Pourquoi celle-là ? demandaient-ils. J’ai mis du temps à oser formuler ma réponse, elle était pourtant évidente. Parce que, pour la première fois, j’avais accès au bourreau. »

Page 125 : « Au mois d’août 2015, après le procès, j’ai demandé à Jacqueline et Bernard s’ils accepteraient de me rencontrer. Je voulais qu’ils m’en disent plus sur ce gavage, qui me semblait une clé essentielle pour comprendre Dominique. Dans plusieurs ouvrages sur les rapports mère-enfant, les grossesses cachées, les infanticides, j’avais lu que nourrir sans arrêt son bébé sans lui laisser le temps d’éprouver la faim, la demande puis la satisfaction, revenait à l’empêcher d’expérimenter la relation à l’autre. Que les pleurs d’un nourrisson prenaient progressivement pour lui le sens d’un appel, qui amenait une réponse, la nourriture, les bras. Que dans le gavage inversement rien n’avait de sens : pas de cris, pas de demande puisqu’elle est en permanence devancée, pas de communication. L’enfant n’existe pas comme une personne autorisée à réclamer et ressentir. Il est privé de désir. »

Page 217 : « Pendant onze années, de 1989 à 2000, les grossesses cachées, les accouchements, les meurtres se sont enchaînés presque en continu. Une maternité s’achevait, une autre démarrait dès que Dominique était à nouveau fertile. Enceinte neuf mois sur douze, les trois quarts du temps. Ce cycle morbide était devenu sa façon de vivre. Elle lavait les personnes âgées en ayant des contractions, préparait le dîner pour sa famille tandis que son ventre de plus en plus douloureux se serrait, accouchait seule dans la nuit, retournait travailler le lendemain. 

Huit fois de suite, sans jamais une complication à l’accouchement qui vienne interrompre. “Au contraire, reconnaît Dominique, c’était de plus en plus facile. L’expulsion était plus rapide.” Elle pense que tous sont nés à terme, car tous lui ont semblé être “de gros bébés”. Les autopsies le confirment. »

« Les monstres n’existent pas, au-delà du fait divers », Ondine Millot, Stock, 19,50 euros

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