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Rentrée littéraire

MARION GUILLOTMarion Guillot, vous connaissez ? La trentenaire fait partie des auteurs dont j’apprécie le travail. J’avais beaucoup aimé son premier roman qui s’imposait comme un programme salutaire, « Changer d’air », paru aux Editions de Minuit ( vous pouvez le retrouvez ici).

La jeune femme installée en Bretagne est de retour avec « C’est moi ».

Après nous avoir raconté la vie de Paul, ce professeur de Lettres installé à Lorient qui, le jour de la rentrée, après avoir assisté, impuissant, à la chute d’une femme dans le port, décide de ne jamais rejoindre sa classe, ni sa vie.

Autre décor avec « C’est moi ». Quoique. Nous sommes toujours pas loin de la mer. Au sein d’un couple qui ne va pas bien. Il y a la narratrice, quadragénaire. Elle travaille, ce qui n’est actuellement pas le cas de son compagnon, Tristan. Ils vivent dans un petit appartement, sans guère de projets ni d’envies… Et puis il y a Charlin, le vieux pote de Tristan, qui passe beaucoup de temps (bien trop aux yeux de la narratrice) chez le couple.

Un jour, Tristan offre un cadeau original à sa compagne : sur le mur, une photo de vacances sur laquelle elle est nue. Le portrait, grandeur nature, s’offre aux regards. Même à celui de Tristan. Pour la narratrice, c’est marre. Il est temps que cela change. Alors, patiemment, méthodiquement, elle va imaginer un plan et le mettre à exécution. Pour avoir la paix. Même si elle ne sera que de courte durée.

Le roman vire au noir. Avec brio.

Comme dans son premier roman, Marion Guillot fait le portrait d’un personnage qui ira au bout de son choix. Radical. Histoire de ne pas perdre la main sur sa destinée.

Un récit ciselé. Un régal.

Extraits

Page 21 : « […] je crois que, Tristan et moi, à l’époque, on traversait une période un peu délicate, peut-être même un peu difficile, une période où, vivant côte à côte plus qu’ensemble, on battait tendrement de l’aile, laissant fadement couler les jours, s’installer la situation sans que Tristan s’inquiète de tout ça, de cette légère torpeur dans le couple, de cette forme de lenteur dans son rythme, de cette distance ( à laquelle, évidemment, la présence de Charlin ne pouvait rien arranger), sans doute d’autant plus sournoise qu’elle n’avait rien de dramatique et qu’avec un petit effort commun, un tant soit peu de volonté ou trois gouttes de philtre magique, on était capable de la réduire. » : 

Page 60 :« Une fois refermée l’enveloppe et sifflée la bouteille de vin, il ne s’était pas éternisé. 

Après son départ, et puisque pour estimer, par contraste, mon degré d’attachement aux gens, il m’arrivait de les imaginer mourir, ça m’avait soulagée, ce soir-là, de sentir les larmes monter, d’en voir une perler dans le miroir et d’évaluer la magnitude de l’événement à au moins 9/10 sur mon échelle du chagrin en me figurant Tristan sur son lit de mort à la suite d’une maladie grave ou de je ne sais quel accident dont les effets lui auraient été si fatals que je me représentais en deuil à la cérémonie d’enterrement, que je m’entendais même dire au pupitre quelques mots incompréhensibles ou esquisser, remuant un goupillon dans le vide, un signe de croix à proximité de son cercueil. »

Pages 109-110 : « […] Du reste la boucle, en quelques sorte, me paraissait bouclée, j’estimais avoir non seulement pris ma revanche mais fait le tour, le tour de ce je ne sais quoi mais le tour, de moi-même peut-être après tout, et sans trop savoir ce qui, précisément, recommençait, j’avais l’impression rassurante de me connaître un peu mieux, d’avoir donné de ma personne, la totalité de ma personne, quand bien même Tristan, de toute évidence, était triste dans le TER presque vide à cette heure, qui roulait lentement comme pour faire durer le chagrin, certes pas au point de se mettre à pleurer mais triste, j’étais sûr qu’il l’était à la façon qu’il avait de se ronger les ongles, de mordiller les envies tout autour et de passer sa main dans ses cheveux comme pour chasser des souvenirs, et j’avais beau le sentir accablé, le voir regarder impassiblement le paysage, le ciel tout bleu sans rien dedans, les maisons de pierre qui parsemaient la campagne verdoyante obstruée par mon reflet dans la vitre, j’avais le sentiment d’avoir accompli mon devoir, une bonne action, ou que c’était une bonne chose de faite, au point que, pour couronner le tout, je m’étais dit qu’avant de me coucher et de m’endormir, bercée par les effluves d’iode des criques rocheuses de Porto, je commanderais – ce serait ma récompense à moi, mon dernier hommage –, une bibliothèque toute neuve où ranger le surplus de nos livres. »

« C’est moi », de Marion Guillot, Editions de Minuit, 12€.

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