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Rentrée littéraire

OTSWALD

 

Et voici la rentrée littéraire ! Un moment à part. Dans les starting-blocks et les piles des librairies, des romans ( et surtout leurs éditeurs) visent les prix littéraires. Il ne faut pas se rater, plaire aux critiques, au public ( accessoirement ?).

Pour vous aider à trouver de jolies pépites dans cette avalanche de romans, français et étrangers, vous découvrirez, au fil des semaines, quelques-unes de ces nouveautés.

Quelques chiffres pour commencer :

– cette rentrée littéraire voit arriver 581 romans et recueils de nouvelles de la mi-août à la fin du mois d’octobre ( contre 560 en 2016).

Côté français : 390 titres ( +6% par rapport à l’an passé). Parmi eux, des premiers romans bien sûr : 81 contre 66 en 2016. De quoi faire de jolies découvertes !

- Côté étranger : 191 livres ( on en comptait cinq de plus en 2016).

  A noter que ce cru littéraire se veut particulièrement ancré dans le réel. Les questions sociétales s’étalent au fil des pages. Et l’exofiction nourrit toujours les auteurs.

Pour commencer cette revue (subjective et non-exhaustive), un premier roman. Oui, je sais, j’ai toujours une bonne raison pour vous présenter un nouvel auteur, un nouvel univers. Celui de Thomas Flahaut nous est pour le moins contemporain. Avec « Ostwald » il nous plonge dans une catastrophe de type Tchernobyl, dans l’Est de France après un accident nucléaire à la centrale de Fessenheim.

 

 

FESSENHEIMFessenheim ? Rappelez-vous… Il s’agit de la plus ancienne centrale nucléaire en exploitation en France. Depuis ce mois de juillet, elle est totalement à l’arrêt.  Précisons que l’ensemble de Fessenheim doit fermer au moment de la mise en service du réacteur de nouvelle génération EPR de Flamanville (Manche), prévue en 2019, une perspective confirmée par le nouveau gouvernement français mais contestée par des élus régionaux et les syndicats d’EDF, comme nous l’explique un article paru dans Le Monde, le 24 juillet (avec AFP).

Et l’article de préciser : « En 2016, la centrale de Fessenheim a produit 8,4 milliards de kWh, soit « environ 65 % de la consommation d’électricité alsacienne », selon des données fournies par EDF. Cet aspect est régulièrement mis en avant par les défenseurs de la centrale, qui mettent en garde contre une situation de pénurie énergétique en cas de fermeture définitive.

A l’inverse, les militants antinucléaires – vent debout depuis des décennies contre une centrale qu’ils considèrent comme vétuste et dangereuse – s’appuient sur les fréquents arrêts des réacteurs pour affirmer qu’une fermeture ne mettrait pas en danger l’approvisionnement énergétique de l’Est, ou de la France en général. »

Dans ce premier roman , un accident intervient dans la centrale nucléaire de Fessenheim après un tremblement de terre. Pas de catastrophe. Du moins au départ. On se veut rassurant. Mais il y a cette noria de bus et de camions, ses villages et villes vidées, ses camps qui se remplissent finalement. Noël (le narrateur) et son frère Félix, enfants, jeunes adultes d’un couple divorcé qui a connu le chômage et le déclassement ( la famille était alors installée à Belfort, la mère y est restée, le père, lui, s’est installé à Ostwald), flottent entre les deux villes. L’un est étudiant, l’autre devrait commencer à travailler.

Ils comprennent que l’heure est grave quand ils se retrouvent dans un de ces camps de réfugiés, improvisé dans la forêt. Mais ce qui s’y passe choquent et dépassent les deux frères qui vont fuir, découvrir un monde au bord du chaos. Deux frères qui aiment d’ailleurs la même jeune fille, Marie, qui continue de jouer avec leurs coeurs. « Ostwald » raconte cette errance dans un Grand Est imaginaire, si proche pourtant. Une écriture sèche, une originalité brillante.

Premier roman

Né en 1991, Thomas Flahaut a étudié le théâtre à Strasbourg, il rejoint ensuite la Suisse pour suivre un cursus en écriture littéraire. Diplômé de la Haute école des arts de Berne, il vit et travaille à Lausanne, où il a cofondé le collectif littéraire franco-suisse Hétérotrophes.

Extraits

 Page 63 :« Des cercles colorés se déploient comme des ondes autour de la centrale, à travers les forêts noires recouvrant les ballons vosgiens, les champs et les zones urbaines, plus claires. Un journaliste décode la signification des couleurs. Rouge : déjà évacué. Orange : à Paris, on y réfléchit. Jaune, couleur qui recouvre le territoire de Belfort : il n’y a théoriquement rien à craindre. La prise régulière de pastilles d’iode est tout de même nécessaire. La télévision et le monde bégaient. Et nous, nous les écoutons, nous les regardons bégayer. Tout le pays doit être comme nous. Les yeux vides, la bouche ouverte et les idées engourdies, figé dans l’atmosphère de peur diffuse d’avant les grandes paniques. Fixant silencieusement les lumières de la télévision qui colorent le brouillard des événements. Regardant, anxieux, si l’endroit où l’ont vit est plongé dans le rouge, l’orange ou le jaune et soupirant, soulagé, si on se trouve assez loin du rouge. Après le jaune, c’est le vert des forêts. S’il y a un danger là, il est invisible, et c’est au moins une consolation. « 

Page 135 : « L’homme soupire.

Ils ont foutu le feu parce qu’ils voulaient partir, les soldats, et nous laisser là.

Une moue misérable tire les coins de sa bouche jusqu’à la racine de son double menton. Les communes de Lingolsheim et d’Ostwald sont voisines. La carte que j’ai reconstituée à partir des rares informations distillées par le transistor de David ne disait rien de l’ampleur de ce qui était en train de se passer. Depuis la centrale de Fessenheim, c’est tout le pays qui se vide. »

Page 151 : « Attendre le matin, le ciel pâle, l’heure de rentrer dans les pas des collégiens qui se rendent en cours, et traîner sa nausée de salles blanches et tristes en salles blanches et tristes. Tout ce qui s’est passé les a fait disparaître, ces habitudes. Et je ne sais plus qu’une chose, il y a Félix et moi, sans rien à nous dire, un silence imposé et hanté par une dernière chimère. La famille n’existe plus vraiment, mais nous avançons ensemble. Nous traversons Strasbourg. Le ronronnement de la Golf accompagne notre errance. Le vent froisse et blanc et le bleu du drapeau grec, dans cette avenue des Vosges que nous empruntons encore dans une nouvelle révolution. Je me répète des mots et des histoires perdus dans la nuit. »

« Ostwald », Thomas Flahaut, Les Editions de l’Olivier, 17€.

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