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VIE DE GERARD

 

Voilà un roman pas banal ! Le titre est déjà tout un programme. L »histoire vaut aussi le détour…

C’est celle de Gérard Airaudeau. Le quinquagénaire vit à Saint-Jean-des-Oies, en Vendée. Ne perdez pas votre temps à chercher cette bourgade sur une carte, elle n’existe que dans l’imagination de François Beaune, écrivain baroudeur qui, en revanche,a collecté nombre de témoignages pour alimenter la chronique vendéenne de son roman.

Gérard, aimable personnage à l’attitude bonhomme a organisé un banquet à la demande de la députée du coin, en quête de « vrais gens ». Gérard a invité des membres de sa famille, des amis à venir lui expliquer leurs vies, leurs problèmes, leurs attentes. En attendant que tous arrivent ( en lisant ce roman, vous comprendrez pourquoi rien ne va se passer comme prévu), Gérard raconte, s’épanche, se souvient. A ses côtés, Aman, un réfugié érythréen qu’il héberge depuis plusieurs semaines déjà.  Il lui brosse, comme s’il lui servait un interminable menu, sa vie. Par le début. Sa famille, le bar-restaurant familial, les galères pour trouver du travail ( ouvrier, Gérard enchaînera trente-deux contrats sa vie durant), sa rencontre avec Annie, les enfants qui arrivent…, les copains et leurs problèmes, la famille qui se déforme… et cette Vendée si particulière : La Vendée des marais, protestante et progressive et celle du bocage, catholique et conservatrice.

Loin de Philippe de Villiers, la Vendée des petits.

Au fil des pages, c’est un peu la vie du Français moyen qui défile. Une plongée, drôle et pas larmoyante pour deux mogettes, dans ce qui pourrait ressembler à la « France d’en bas », à travers le soliloque de Gérard,  porte-voix des anonymes et cousin des années 2010 d’un Coluche inspiré.

Et cette députée qui n’arrive pas ;-)

François Beaune vit actuellement à Marseille. Il a fondé plusieurs revues. Il est également à l’origine du festival « Du cinéma à l’envers » proposant à des réalisateurs de concevoir leur film à partir d’affiches créées par des plasticiens.
« Un homme louche », publié en 2009, était son premier roman.
Avec Arte Radio, il a fait de nombreux reportages. A partir de décembre 2011, parti en quête « d’Histoires vraies de Méditerranée », en partenariat avec Marseille-Provence 2013, François Beaune a créé avec Fabienne Pavia une bibliothèque d’Histoires Vraies de la méditerranée (textes, sons, vidéos). Ce projet s’est soldé en octobre 2013 par la parution de son dernier ouvrage, « La Lune dans le puits », ou le portrait des Méditerranéens à travers leurs histoires vraies en miroir de celles de l’auteur.
Ce quatrième roman « Une vie de Gérard en Occident », fait aussi l’objet notamment, au cours de l’année, d’une libre adaptation en fiction radio pour France Culture.

Extraits

Pages 123-124 :« Sa femme travaillait comme infirmière, et bizarre, avec leurs deux payes, ils ont jamais acheté de maison. Chez nous ça se fait pas. Bon c’est vrai qu’à un moment Boris était souvent de bringue au bistrot, après le foot au autre. Maintenant, il s’est calmé, il s’est fait opérer d’une hernie, il parle moins. De toute façon, nous on a pas les mots pour dire ce qu’on a à dire. Nous, c’est ça qui nous manque.

N’empêche Boris, sur ses deux gars, il y en a un qui est toubib, l’autre ingénieur informatique. Et les deux mariés comme il faut, avec deux Parisiennes bon teint. Lui, cinquante-quatre ans, comme moi, quand tu connais son genre de conversation. Je l’imagine à table, en haut, dans la belle salle à manger toute briquée, qui a jamais servi, et les belles-filles pimpantes, habituées aux petits-fours entre cadres et toubibs. La première fois, à l’heure de la terrine, ça a dû être un choc de civilisations. »

Page 221 : « Ce qui est intéressant quand tu changes de boulot, c’est pas le boulot en lui-même, mais les gens qui tu rencontres. Tu fais ça jusqu’au jour où tu tombes comme moi sur un vrai bon boulot, dans un établissement scolaire. Là tu dis vite au revoir à tes gorets, ta chaîne, les surgelés Agrigel, ta vendangeuse hydraulique. Tu entres dans le monde de la fonction publique. Tu changes plus quand t’as ça.

Au lycée, je suis entouré de mômes sympas, scotchés à leurs téléphones. Ils parlent à peine. Pas de révolution à venir, de VIe République, Marianne va être déçue, on est tranquilles pour le troisième millénaire. Ils sortent de classe, ils se mettent sur leurs engins. Nos meneurs, même avec des chars et des millions, pourront pas faire grand-chose. »

Pages 271-272 :« L’avenir, moi je vais te dire, je crois pas que ça me concerne. L’avenir, j’en suis pas encore là. Ma mère disait, ça se trouve, dans trois mois, vous serez morts. Pour elle, l’idée de prévoir quelque chose au-delà d’une saison, c’est le luxe des autres. Bé vous savez où vous serez dans trois mois, vous ?! Bé vous avez ben d’la chance ! Toi tu dois comprendre ça Aman, avec ton temps à toi. Ma mère elle était africaine d’une certaine façon, sans connaître l’Afrique. »

« Une vie de Gérard en Occident », de François Beaune, Verticales, 19,50€

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