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Une énorme claque. Voilà ce que j’ai ressenti en plongeant ( 590 pages tout de même !) dans « N’essuie jamais de larmes sans gants », sur les conseils de ma libraire bretonne préférée (« Les mots voyageurs », à Quimperlé dans le Finistère).

Le titre, étrange, invite à ouvrir ce gros livre. Il s’agit du conseil d’une infirmière à une aide-soignante alors qu’à côté d’elles, un jeune homme meurt du sida sur son lit d’hôpital.

L’histoire ? Elle nous emmène dans la Suède des années 80 et 90, au coeur de la communauté homosexuelle installée à Stockholm. Parmi des hommes qui s’aiment et se désirent que le sida va précipiter vers le déshonneur (à l’époque, le manque d’information provoque de vrais catastrophes)… et la mort.

Au fil des pages, particulièrement bien documentées sur le sujet, on suit, année après année, les vies de Rasmus, Benjamin, Reine, Bengt, Lars-Ake, Seppo et Paul.

Ils ont quitté leur famille, leur ville ou village d’origine pour rejoindre la capitale et enfin vivre comme ils l’ont toujours voulu.

 

Rasmus a quitté le cocon familial, convaincu de sa différence depuis sa plus tendre enfance. Comme l’élan blanc qu’il verra un jour alors qu’il se promène en forêt avec son père. Si ce dernier voie en l’animal « une aberration de la nature », Rasmus alors enfant lui répond : « Pourtant il existe ». Et tente de survivre dans un environnement qui ne veut pas de lui. Comme les homos.

Benjamin découvre sur le tard son attirance pour les hommes. Pilier des Témoins de Jéhovah comme son père, il va essayer de concilier sa foi et son histoire d’amour avec Rasmus. Jusqu’à ce que cela ne soit plus possible. Et pour cause. Le « cancer gay » comme on l’appelle alors par méconnaissance et peur fait ses premiers ravages dans la communauté américaine tout d’abord, puis européenne.

La Suède, malgré la désinformation savamment orchestrée, n’est pas épargnée. De fêtes déjantées en isolement à l’hôpital, d’annonces aux parents en choix du suicide, ce sont les années sida qui se déclinent sous les mots de Jonas Gardell, traduits du suédois par Jean-Baptiste Coursaud et Lena Grumbach.

Observateur attentif de la société dans laquelle il évolue, Jonas Gardell a fait ses débuts en littérature en 1985 avec un roman sur l’amour homosexuel. Depuis, il n’a pas arrêté de publier. IL est aussi réputé en Suède pour ses one-man show et ses interventions provocantes dans la boîte à images.

Son roman mêle drôlerie et souffrance. Montre comment ces hommes ont dû se débrouiller pour comprendre et se battre contre une maladie qui les mettait toujours plus à l’écart d’une société déjà peu tolérante. Un roman puissant, ancré dans la réalité d’une période qui laisse un mauvais goût dans la bouche : celui de l’intolérance grasse.

Extraits

Page 59 :« C’est si difficile à comprendre, c’était une époque si différente. Et il est si loin, l’automne 1982 qui décrivent ces événements ; il semble remonter à des temps immémoriaux.

A peine trois ans plus tôt, l’homosexualité était encore officiellement classée parmi les maladies mentales et cataloguée comme par la société. Les psychiatres les éminents du pays, Johan Cullberg en tête, qualifiaient l’homosexualité de tare. L’homme homosexuel était une pauvre petite chose infantile et tourmentée, un sujet dont le développement s’est arrêté au stade anal, une créature pathétique, rivée à sa mère, dépendante d’autrui. »

Page 240 :« Le petit Reine, timide, romantique, gauche, toujours brûlant d’un amour malheureux, que Rasmus et Benjamin ne connaissaient que depuis quelques mois brefs et intenses. Il était renforcé sur la banquette, osant à peine respirer, sans défense.

Les mots le pénétraient comme un poison. Punition de Dieu. Lèpre. Aucun remède. Bien fait pour eux.

Il le savait. Il savait que l’ennemi s’était déjà emparé de lui, qu’il se multipliait déjà en lui, sans trêve ni repos, le détruisant méthodiquement, patiemment, sournoisement.

Les prières ne lui seraient d’aucun secours. Aucun médicament ne pourrait l’aider. Son médecin ne pouvait rien pour lui. Il avait déjà été infecté. Et le journal avait raison : c’était bien fait pour sa gueule. »

 Page 488 :« Ce qui est raconté dans cette histoire s’est réellement passé. Et ça s’est passé ici, dans cette ville.

C’était comme une guerre menée en temps de paix.

Tout autour, la vie continuait comme s’il ne se passait absolument rien. Les saisons se succédaient, des foyers de troubles s’allumaient et s’éteignaient à différents endroits du monde, comme des feux follets qui flamboient puis disparaissent. L’attention des individus était attirée par ceci, par cela, et cette maladie épouvantable n’était qu’un des nombreux tourments qui frappaient les autres.

Si on n’était pas concerné, on ne se rendait pas du tout compte de la mort, cette mort qui était arrivée en ville et qui pendant un certain nombre d’années a été une invitée quotidienne pour des hommes tels que Paul, Benjamin, Seppo et Lars-Ake. »

« N’essuie jamais de larmes sans gants », Jonas Gardell (traduction de Jean-Baptiste Coursaud et Lena Grumbach), Gaïa Editions, 24€.

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