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Une nounou… d’enfer

 

CVT_Chanson-douce_782 Il était temps que je parle de ce roman ! L’année se termine, je reçois chaque jour des romans qui sortiront en janvier et février et je n’ai toujours pas évoqué le prix Goncourt 2016, lu depuis des mois pourtant.

Que dire de « Chanson douce » ? Que c’est un roman efficace, très rondement mené ? C’est le cas.

Que ses premiers phrases sont terribles et vont « accrocher » le lecteur jusqu’à la fin ? Effectivement.

Que Leïla Slimani dont le premier roman « Dans le jardin de l’ogre », sorti en 2014 avait déjà eu très bonne presse ? Sans nul doute. J’en avais parlé ici.

L’histoire de « Chanson douce » ? C’est celle d’un couple d’aujourd’hui, à Paris. Paul travaille dans la musique, Myriam était avocate avant de vouloir élever ses deux enfants, Mila et Paul. Après la naissance de son petit garçon, elle décide de reprendre son métier, qu’elle adore. Le couple se met alors en quête d’une nounou. Ils trouveront Louise, une perle.

Au fil des mois, celle-ci, que la vie a blessée, solitaire et dure, va s’avérer indispensable. Au point de faire peser une emprise certaine sur le couple et notamment Myriam, si facile à faire culpabiliser. Un travail insidieux jusqu’au drame ( elle tue les deux enfants et tente de se suicider), sur lequel s’ouvre ce roman qui, comme le premier, ne fait aucun cas d’une quelconque sentimentalité. Le roman, ramassé, fonctionne comme un polar.

Sur fond de déclassement social et de folie, Leïla Slimani signe là un roman fort, couronné par le prix Goncourt. C’est la 12e fois seulement, en 113 ans d’existence, qu’il récompense un roman écrit par une femme. Leïla Slimani n’a que trente-cinq ans… de quoi nous attendre à d’autres jolies surprises dans les années à venir de la part de cette auteure franco-marocaine.

Découvrez ici la genèse de ce roman :

Extraits

Pages 38-39 :« Lentement, Louise apprivoise l’enfant. Jour après jour, elle lui raconte des histoires où reviennent toujours les mêmes personnages. Des orphelins, des petites filles perdues, des princesses prisonnières et des châteaux que des ogres terribles laissent à l’abandon. Une faune étrange, faite d’oiseaux au nez tordu, d’ours à une jambe et de licornes mélancoliques, peuple les paysages de Louise. La fillette se tait. Elle reste près d’elle, attentive, impatiente. Elle réclame le retour des personnages. D’où viennent ces histoires ? Elles émanent d’elle, en flot continu, sans qu’elle y pense, sans qu’elle fasse le moindre effort de mémoire ou d’imagination. Mais dans quel lac noir, quelle forêt profonde est-elle allée pêcher ces contes cruels où les gentils meurent à la fin, non sans avoir sauvé le monde ? »

Page 135 : « Paul n’ose pas le dire à sa femme, mais, cette nuit-là, il se sent soulagé. Depuis qu’il est arrivé ici, un poids semble avoir disparu de sa poitrine. Dans un demi-sommeil,  engourdi par le froid, il pense au retour à Paris. Il imagine son appartement comme un aquarium envahi d’algues pourrissantes, une fosse où l’air ne circulerait plus, où les animaux à la fourrure pelée tourneraient en rond en râlant.

Au retour, ces idées noires sont vite oubliées. Dans le salon, Louise a disposé une bouquet de dahlias. Le diner est prêt, les draps sentent la lessive. Après une semaine dans des lits glacés, à manger sur la table de la cuisine des repas désordonnés, ils retrouvent avec bonheur leur confort familial. Impossible, pensent-ils, de se passer d’elle. Ils réagissent comme des enfants gâtés, des chats domestiques. »

Page 203 : « L’obsession de l’enfant tourne à vide dans sa tête. Elle ne pense qu’à ça. Ce bébé, qu’elle aimera follement, est la solution à tous ses problèmes. Une fois mis en route, il fera taire les mégères du square, il fera reculer son affreux propriétaire. Il protégera la place de Louise en son royaume. Elle se persuade que Paul et Myriam n’ont pas assez de temps pour eux. Que Mila et Adam sont un obstacle à son arrivée. C’est leur faute si le couple ne parvient pas à se retrouver. Leurs caprices les épuisent, le sommeil très léger d’Adam coupe court à leurs étreintes. S’ils n’étaient pas sans cesse dans leurs pattes, à geindre, à réclamer de la tendresse, Paul et Myriam pourraient aller de l’avant et faire à Louise un enfant. Ce bébé, elle le désire avec une violence de fanatique, un aveuglement de possédée. Elle le veut comme elle a rarement voulu, au point d’avoir mal, au point d’être capable d’étouffer, de brûler, d’anéantir tout ce qui se tient entre elle et la satisfaction de son désir ».

« Chanson douce », de Leïla Slimani, Gallimard.

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