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Rentrée littéraire

eva,M247070Un livre d’amour et de rédemption. Voilà ce que contient le nouvel ouvrage de Simon Liberati, « Eva ». Eva, c’est Eva Ionesco. Cette enfant, cette jeune fille qui de 4 à 13 ans a servi de modèle à sa photographe de mère, Irina Ionesco. Une femme qui deviendra célèbre en exposant les très nombreux clichés érotiques (voire davantage) sur lesquels évoluaient sa progéniture.

Pour Simon Liberati, l’enfant-objet d’autrefois est devenu une muse. La plus inspirante qui soit. Pourtant rien ne sera simple entre eux, au départ.

Il l’a croisée une première fois en 1979. La jeune fille, vêtue d’une robe lamée, l’insulte. Il se servira de ces souvenirs pour imaginer, des années plus tard, le personnage d’un roman. Ils se rencontrent à nouveau en 2013 et, cette fois, ne se quitteront plus. Réunis au départ pour un projet de scénario (« Une jeunesse dorée », qui sera tourné en 2016 avec Valeria Bruni Tedeschi et Mathieu Almaric) – Eva Ionesco a déjà raconté sa vie sulfureuse à travers le film « My Little Princess », qu’elle a réalisé en 2011, interprété par Isabelle Huppert  – l’écrivain et l’ancienne jeune fille sulfureuse vont lier leurs destins.

« Eva » peut naître.

Un roman ( mais est-ce vraiment un roman en définitive ?) qui aurait pu ne jamais être publié. En effet, Irina Ionesco a, en juillet, demandé que soient retirés du livre des passages constituant, selon elle, des atteintes à sa vie privée. Le 3 août, le tribunal la déboutait finalement, arguant notamment que « l’ampleur de son préjudice peut également être appréciée au regard de son attachement à la vie privée d’autrui, en l’occurrence sa fille âgée de 4 à 13 ans, dont les photos dénudées ont été commercialisées de nombreuses années ».

Que raconte « Eva » ? Simon Liberati n’a pas écrit une biographie. Non, il navigue entre passé et présent. Il y a ce que l’ont sait déjà d’Eva. Et puis tout le reste. L’écrivain a plongé dans les souvenirs de sa compagne, dans les écrits de celle-ci, les cartes postales jamais envoyées. Il a également rencontré ceux qui côtoyaient Eva Ionesco dans ces années sulfureuses. Et il ne cache rien des manies d’Eva, de ses obsessions, de ses caprices, de son image qu’elle chérit… et de sa mère qui ne lui a jamais témoigné d’affection.

Une boule à facettes. Comme à la grande époque du Palace et des Bains-Douches. Lui, qui avait pourtant juré fidélité à la littérature, se donne tout entier à celle qui partage désormais sa vie.

Ajoutez à cela les mots de Liberati, sa langue riche et poétique et vous plongez tout entier dans cette histoire d’amour unique. Une très jolie découverte.

Extraits

Page 29 : « Je retrouvai peu à peu, dans sa façon de parler et certaines intonations parigotes, une musique entendue autrefois dans la bande qu’elle fréquentait. J’avais oublié cette langue, enfouie dans ma mémoire sous des couches et des couches d’autres langages, d’autres tics, d’autres façons de parler. Après plus de trente ans, j’avais l’impression de reconnaître la voix d’une vieille amie revenue de l’arrière-monde. Une vieille amie ou une parente… Il me vint à l’esprit que ma soeur imaginaire, la petite Marina, un personnage que j’avais créé en pensant en partie à Eva, revenait me hanter. Dans quel but ? Je suis superstitieux, même si je m’en cache, la drogue a appuyé ce trait de caractère, et cette présence étrange postée près de moi qui fumait une cigarette sur le balcon en contemplant la nuit me faisait l’effet d’une féérie dont je ne pouvais présager si elle était bonne ou mauvaise. Plusieurs personnes, trompées par les étrangetés d’Eva et préjugeant des séquelles d’une enfance agitée, m’avaient affirmé qu’elle n’avait pas toute sa tête. Je dois avouer que j’ai passé les premières heures en sa compagnie à guetter des symptômes. Avec des résultats incertains. Peut-être était-ce plutôt moi que j’aurais dû sonder. »

Page 46 : « J’ai su très vite qu’Eva allait me rendre heureux, c’est-à-dire m’affoler, bouleverser ma vie si complètement qu’il faudrait tout refaire autrement et dans le désarroi, seul symptôme incontestable de la vérité. Je l’ai su en trouvant une ancienne photographie d’elle sur Internet, un cliché dont elle m’a donné plus tard un tirage. Ce portrait fut pris au Privilège quelques années après que j’ai croisé Eva. Elle est plus âgée qu’à l’époque où elle m’a insulté et infiniment plus belle et touchante. Elle a seize ans, un âge où elle vivait seule à l’hôtel La Louisiane, dépensant en un an l’argent que lui avaient rapporté des rôles d’enfant plus ou moins déshabillée au cinéma. »

Pages 94-95 : « […] Il y a une part de foi dans l’amour qui se prononce de manière délibérée en soi comme un voeu. Il reste secret mais aussitôt énoncé il prend une valeur d’absolu. Il ne s’agit pas de dire “je t’aime ” mais d’accepter au fond de soi d’aimer l’autre, c’est-à-dire de ne plus différencier le sort de l’autre au sens propre. Passé un certain âge, ce saut devient plus difficile, sauf quand le passé est engagé tout entier, dans toute son épaisseur, couche après couche, lecture après lecture, rencontre après rencontre dans le choix présent, le justifiant sans doute possible. C’est le garçon que j’avais été avant de devenir celui que j’étais devenu qui s’engageait de la manière la plus chevaleresque auprès de celle, l’éternelle, dont j’avais vue le premier avatar là-bas dans l’hôtellerie du couvent, ou peut-être avant, dans ma lointaine enfance. J’en étais certain, ma foi était pure.

Cette fois en l’amour n’était pas morte pendant toutes les années intermédiaires mais elle s’était déplacée dans le domaine de l’art. Je croyais en la littérature, je lui avais juré fidélité et l’élue de ce voeu, cette part communiste de moi qui tendait au sublime en général souffrait de se voir préférer une seule femme, fut-elle aussi poétique et romantique qu’Eva.

La seule issue que j’ai trouvée à ce dilemme était de prendre l’objet de mon amour, Eva, et d’en faire un livre, Eva. »

« Eva », Simon Liberati, Stock, 19,50€.

Une Réponse à “Eva, passion dévorante”

  1. Jacques dit :

    Moueh… bof..
    La vision nihiliste de Simon Libérati est peu convaincante qu’il s’agisse du personnage d’Eva ou de la mère de celle-ci : la grande photographe Irina Ionesco. Simon Libérati détruit à la fois la fille et la mère dans sa mise en scène pseudo-romanesque bourrée de fausses vérités et d’erreurs qui frisent l’imposture éditoriale. Finalement cet homme démontre dans ce roman au combien il peut être étranger à Eva. Il s’auto-persuade et se déclare « proche d’elle » avec comme « preuve à l’appui » le fait de se « défoncer » allègrement avec elle et en racontant une multitude d’anecdotes malsaines qui n’ont aucun intérêt littéraire ou narratif. Eva personnage singulier créé par Irina Ionesco est un être pur, d’une dimension intemporelle et universelle. Son appréhension dépasse de très loin les considérations « pipi-caca » dans lesquelles Simon Libérati cherche à la cantonner. Pour mieux la contrôler, la soumettre ou la manipuler?? c’est ici une vraie question.
    En résumé, ce roman est à côté de la plaque, n’a rien de convainquant, son style est lourd, petit concierge et auto-centré sur le narrateur.
    Le vrai roman d’Eva reste à écrire : celui de la jeune fille dont le destin a été d’incarner un être suprême éternel car artistique fabriquée par une mère en réalité aimante et protectrice contrairement à tout ce qui a été dit. Le cheminement d’Eva, ou son égarement, dans un combat contre cette mère alimenté par de mauvais esprit malfaisants : là est le vrai sujet de la vie d’Eva Ionesco.

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