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VIGILE

Vous êtes-vous déjà posé la question de savoir à quoi pouvait bien penser un vigile, en poste debout des heures durant ? Il s’ennuie et passe le temps à vous observer, à vous deviner et à ranger dans une catégorie tout en faisant en sorte de déjouer les stratagèmes toujours plus inventifs des voleurs (ses). C’est en tout cas ce que nous raconte Gauz, l’auteur d’un premier roman très réussi « Debout-payé », publié à la rentrée de septembre chez Le Nouvel Attila.

 

« Debout-Payé » raconte l’histoire d’Ossiri, étudiant ivoirien devenu vigile après avoir atterri sans papier en France en 1990. Un poste que Gauz, alias Patrick Gbaka-Brédé, a lui-même occupé.

Après avoir été diplômé en biochimie et provisoirement sans-papiers en France, l’auteur est photographe, documentariste, et directeur d’un journal économique satirique en Côte-d’Ivoire. Il se partage aujourd’hui entre les deux pays.

Ce roman, aussi intéressant sur la forme que sur le fond nous raconte d’abord une histoire familiale. Celle d’Ivoiriens où, de père en fils, on devient vigile à Paris. Des années 60 au début des années 2000, on suit l’histoire de ces hommes. A l’heure de la Françafrique triomphante jusqu’à l’après 11-Septembre qui induit le soupçon et la peur.

A cela s’ajoute les réflexions, théorèmes, souvenirs, aphorismes et clins d’oeil de Gauz qui plonge ainsi le lecteur dans sa vie de vigile dans un magasin de vêtements pour femmes à Bastille et dans une parfumerie installée sur les Champs-Elysées.

De son poste d’observation unique, il porte un regard aiguisé et satirique sur la société consumériste dans laquelle nous évoluons. Jubilatoire !

Extraits

Page 34 : « POLYMERE. Polyester, polyamide, polyvinyle… sont de grosses molécules de synthèse à la base des fibres utilisées dans l’industrie textile. Les chimistes les appellent des “polymères”.

Maternité éloignée et vie sexuelle déclinante, les femmes au-dessus de 50 ans sont très attirées par les habits en fibre de polyester, polyamide, polyvinyle. Les vigiles les appellent les “polymères”. « 

Page 105 : « Ferdinand parla de la mère d’Ossiri avec beaucoup de nostalgie. Il raconta, timidement mais avec assurance, les 25 ans qu’il avait passés en France. A son arrivée, grâce à “tonton André”, il avait obtenu un poste de vigile aux Grands Moulins de Paris. Il avait toujours travaillé “avec sérieux” et était “très apprécié” de ses patrons. Au bout de 15 ans de fidélité et de loyaux services, il avait été encouragé à monter sa propre société de sécurité. Il sous-traitait les contrats que lui décrochaient ses anciens patrons, qui eux-mêmes sous-traitaient des contrats qu’ils avaient obtenus de boîtes de sécurité encore plus grosses. « 

 Page 127 :  » THEORIE DU PSG. A Paris, dans tous les magasins ou presque, tous les vigiles ou presque sont des hommes noirs. Cela met en lumière une liaison quasi mathématique entre trois paramètres : Pigmentation de la peau, Situation sociale, et Géographique (PSG).

On en tire la théorie du “PSG restreint ” énoncée comme suit : “A Paris, la concentration élevée de mélanine dans la peau prédispose particulièrement au métier de vigile.”

Mais partout dans le monde, situations administratives, idées reçues, niveau d’éducation, racisme assumé ou refoulé, contraintes économiques, etc., finissent toujours par imposer à des hommes possédant des situations pigmentaires particulières des situations sociales particulièrement peu flatteuses. C’est la théorie “PSG général”. »

 Mon avis

Voilà assurément l’un des livres les plus vivifiants de cette rentrée littéraire ! Un ouvrage qui a su faire parler de lui et trouver son public : son éditeur en est d’ailleurs déjà au troisième tirage. Avec « Debout-payé », le lecteur suit le quotidien d’un vigile. Entre ennui et réflexions sociologiques. Un livre-témoignage à la fois mordant et drôle. A découvrir.

« Debout-payé », Gauz, Le Nouvel Attila, 17€.

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