Un premier roman, ça vous dit ? Celui de Clotilde Coquet s’insère dans notre quotidien. Et plus particulièrement celui des étudiants qui, pour pouvoir subvenir à leurs besoins, sont dans l’obligation de travailler. C’est le cas de la narratrice, héroïne de « Parle-moi du sous-sol », sorti chez Fayard à la rentrée littéraire de septembre.
Thésarde en Histoire de l’art, la jeune femme travaille à la caisse du rayon jouets d’un grand magasin chic. Là, cette intello précaire découvre l’envers du décor (la formation réduite au strict minimum, les collègues, les petits chefs…) et la difficulté à pouvoir s’insérer durablement dans la vie. Là, au sous-sol, ils sont plusieurs à penser que tout cela n’est que provisoire, temporaire. Pas si sûr…
Clotilde Coquet, âgée de 37 ans, et secrétaire de rédaction en free lance dans des magazines (parmi lesquels Gala) signe là un premier roman souvent drôle et toujours juste. Comme une version des années 2000 du roman d’Emile Zola, » Au bonheur des dames ».
Extraits
Page 52 :« Je me sentais piégée, mais le poste de vendeuse signifiait un meilleur salaire. Et la période de Noël s’accompagnait d’un pourcentage sur les ventes de certaines marques, je serais folle de refuser, disait Rosy. Le magasin reprenait vie avec l’arrivée de l’automne, les jours diminuaient sans rien changer à notre horizon, nous nous contentions jusqu’au soir d’indices pour deviner la météo au-dessus, tantôt les vestes de chasse dégoulinantes des clients qui descendaient jusqu’à nous par vagues pour flâner au chaud en attendant la fin de l’averse, tenant dans les bras leurs chiens à l’odeur infecte, tantôt les écharpes de cachemire dénouées avec style et les bébés nu-tête. »
Pages 72 :« J’atteindrais bientôt la limite, huit heures par jour à me demander comment sortir de là, j’avais peur de me mettre à pleurer devant les collègues s’ils me questionnaient encore sur mon avenir ou raillaient mon étonnement face à ces coutumes de la grande bourgeoisie internationale qui m’étaient inconnues, s’ils éclataient de rire parce que j’avais confondu une fois de plus les coursiers de deux grands hôtels ennemis venus chercher des commandes spéciales, en désespoir de cause je prétextais avoir perdu ma carte de cantine pour esquiver les déjeuners avec eux. Et une fois sur les bancs pendant l’adoration, dans le silence qui suit l’office de midi, entre deux visiteurs modestes aux yeux baissés, j’ai pensé à ce qui avait pu me guider jusque-là, aux petites grisettes crédules et consciencieuses de la fin du XIXe siècle, aux héroïnes tragiques et vite agaçantes de romans naturalistes, qui prennent encore le temps d’aller à la messe chaque jour alors qu’une montagne de bas à repriser les attend dans leur mansarde pas chauffée où la phtisie les guette. »
Page 103 :« Après tout, la déesse de la menue monnaie, c’était moi. Alors j’ai défait le blister lentement sans rien déchirer et détaillé une à une toutes les fonctions, j’ai montré à l’enfant qui balançait ses mollets dans le vide sur le siège trop haut comment ranger les pièces de plastique doré dans le tiroir, comment changer les piles, comment augmenter le son, j’ai même encaissé le client suivant sur la petite machine rose, lequel s’en est amusé, j’ai mimé un éventail rapide avec mes doigts au-dessus de mon front bien dégagé, cervelle en surchauffe, je les ai tous fait rire de ma confusion, elle était consolée. »
Mon avis
Le roman des déclassés ! Voilà à quoi ressemble « Parle-moi du sous-sol », une phrase tirée d’ailleurs de l’oeuvre de Samuel Beckett, « En attendant Godot ». Dans le grand magasin de luxe, tellement de profils surqualifiés ! Ici, le travail est alimentaire, mais les rêves s’effilochent… Un roman contemporain. Celui d’une génération précaire.
« Parle-moi du sous-sol », de Clotilde Coquet, Fayard, 17€.