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La rentrée littéraire, toujours. Avec quelque 600 nouveaux romans, pas possible de parler de tous. Un choix arbitraire et personnel s’opère donc. Et comme je suis Laurent Mauvignier depuis son premier roman, impossible de ne pas parler de son dernier opus « Autour du monde », paru au début du mois de septembre aux Editions de Minuit.

mauvignierautourdumondeL’histoire ? Elle est plurielle. Et planétaire. Nous sommes le 11 mars 2011. Au large des côtes de l’île de Hoshu, au Japon, un terrible tsunami se forme après un séisme d’une magnitude de 9,0. Un cataclysme qui fera 20.000 morts et des milliers de blessés. Une partie du pays est entièrement ravagée. Et ailleurs ? A travers son roman, Laurent Mauvignier nous livre des tranches de vie.

On y croise Guillermo, le Mexicain, tombé amoureux d’une Japonaise alors que la catastrophe s’annonce. Eux, vivront le tsunami dans leur chair. Ce qui ne sera pas le cas des autres personnages de ce roman choral. Frantz, employé de banque suisse désabusé et cynique qui cherche l’amour et sauve un homme ; Taha et Yasemin, deux athlètes turcs en croisière ; Salma et Luli, qui débarquent à Jérusalem avec des objectifs bien différents… Puis on plonge dans les histoires de Syafiq et Stas, deux hommes amoureux au destin contrarié ; celle de Monsieur Arroyo, cet employé d’hôtel philippin aux prises avec une femme qui s’ennuie, celle, tragique, de Juan et Paula dont le bateau est arraisonné par des pirates dans le golfe d’Aden…

Au total, quatorze histoires qui se succèdent. Quatorze vies qui se brisent ou se transforment tandis qu’au Japon, par écrans interposés, tout s’effondre en direct. Si l’homme ne peut rien contre la Nature quand elle décide de gronder, Laurent Mauvignier met ici l’homme au coeur des histoires. En fonction de ses choix, il avancera. Ou pas.

 

Extraits

Page 33 : « Un calme harassé et vibrant, mais vibrant cette fois de son silence et du poids de son répit. La vie semble refluer et regagner le silence de la terre. 14 heures 46 minutes et 44 secondes, heure locale, quand ça a commencé. Plus de deux minutes et quelques poignées de secondes jetées dans le tremblement fou. Ca a duré deux minutes, sauf qu’en réalité, à partir de ce moment-là, les minutes ne veulent plus rien dire. On ne peut plus rien séparer. On ne peut plus rien compter, décompter, recompter, car les corps tremblent et résonnent encore pendant des minutes très longues, exagérément étirées, les tremblements des êtres pendant des minutes encore – le coeur soulevé,  les bras chauffés à blanc et et l’alcool bouillonnant dans la tête, comme une mitraille. Yûko veut se relever. Elle essaie. Ses jambes tremblent. Elle n’a plus de force en elle. »

Page 217 : « Qu’est-ce qu’il a fait pour que ses enfants se démènent pour faire le contraire de ce qu’il avait voulu pour eux ? Owen s’était entiché de cette Afrique maudite et sale, le cauchemar de ma mère et mon cauchemar à moi aussi, avait pensé Peter. Mon fils s’est entiché de ce que je n’aime pas et ces cons d’humanitaires qui vous attendent en bas de chez vous à quatre ou cinq dans des imperméables ou des blousons orange ou bleu électrique, très voyants, pour vous faire signer des pétitions ou vous réclamer une adhésion de soutien. Et sa fille, maintenant, prête à se faire trouer la peau pour une photo qu’on survole d’un oeil distrait le matin en buvant son thé avant d’aller travailler et de l’oublier dans la foulée. »

Pages 302-303 : « Les gestes, les mots, le voyage de A à Z. Tout décortiquer. Comme un chirurgien ou un maniaque dans ces films que Jaycee n’a jamais supportés. Prendre les souvenirs un à un. Au couteau, les dépecer. La lame fine et sans remords pour les étudier et les comprendre. Ce moment qu’il voulait trouver et fixer une bonne fois pour toutes. Mais c’était un fantasme – un fantasme dont il a besoin encore maintenant pour se rassurer et s’inventer un point d’origine, quand l’origine se dilue dans mille faits et gestes. Est-ce que ça veut dire que ça n’aurait pas pu être autrement ? Est-ce que ça veut dire qu’elle était condamné depuis le début ? Depuis toujours ? Non. Rien de tout ça. Il aurait suffi d’être plus attentif. Il n’est rien arrivé pendant tout ce temps où ils ont été si bien, comme dans le parc à tigres, par exemple, oui, là, ils s’étaient dit que c’était une usine à touristes et qu’il ne faudrait pas cautionner ça, mais c’était bien de photographier Jaycee en train de caresser les tigres, comme si c’était de grosses peluches, en se disant que c’était dégueulasse de le faire. »

Mon avis

Un livre choral qui nous parle de nous, des autres. Un livre qui nous explique que, quelque que soit l’endroit du monde dans lequel on se trouve, les attentes, les choix, les désirs sont les mêmes. Rester à trouver les moyens de les mettre en branle. Cette fois encore, les mots de Laurent Mauvignier sont justes, ciselés, parfois pointus. Mon seul bémol concerne la construction du roman. Qui peut (un peu)  lasser.

« Autour du monde », de Laurent Mauvignier, Editions de Minuit, 19,50€.

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