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Comment pouvaient-ils imaginer ce qui se préparait ? Pourquoi ne savaient-ils pas lire les signes prémonitoires ? Les personnages de Aharon Appelfeld dans son dernier roman « Les eaux tumultueuses », ne comprennent pas bien ce qui leur arrive. Et pour cause.

Aharon Appelfeld est né en 1932 à en Bucovine (aujourd’hui située en Moldavie). Citoyen israélien, il a publié de nombreux romans dont « Histoire d’une vie » qui obtenu le prix Médicis étranger en 2004, ou plus récemment « Le garçon qui voulait dormir », en 2011.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Aharon Appelfeld a perdu ses deux parents, assassinés. Il rejoint Israël, à l’âge de 13 ans. Il ne parle alors que  l’allemand.

 Aharon Appelfeld est aujourd’hui célébré dans le monde entier comme l’un des plus grands écrivains de langue hébraïque contemporains, l’un des derniers à avoir survécu à l’Holocauste.

« Les eaux tumultueuses » a été publié en Israël en 1988. Ce roman appartient à la veine la plus métaphorique et imagée de l’auteur.

L’histoire ? Elle se déroule à la fin des années 30, à la maison Zaltzer. Là, chaque été, Rita et plusieurs de ses amis, Juifs pour la plupart, se retrouvent pour jouer aux cartes et gagner de l’argent, boire, aimer… Sans se soucier du quotidien.

Cet été là, pourtant, peu sont au rendez-vous. Rita, à nouveau désargentée, est venue avec son fils qui passe son temps à la surveiller. Quelques amis son là : Zoussi et son prétendant, Beno, etc. Alors qu’ils attendent les habitués, le fleuve qui borde la pension se met à grossir, victime d’une crue qui déborde jusque dans la cour.

 

 

L’inquiétude grandit. Les questions existentielles se font jour au sein de la petite communauté juive  tandis que l’un des leurs décède accidentellement. Tant de signes qui annoncent la fin d’un monde… Maria, la bonne, les met en garde, parle de fidelité aux anciens et aux valeurs quand les hôtes, eux, n’ont que le culte de la liberté à la bouche. Ils se veulent considérés comme des Européens… qui ne les considèrent que comme des Juifs. Rita, elle, fera le choix de fuir… en quête d’une Palestine idéalisée.

Extraits

Pages 31-32 : « Tard dans la nuit, Rita agressa de nouveau le serveur qu’elle traita d’homme sans coeur il avait envie de lui répondre mais il se retint, et Rita poursuivit en l’accusant d’être imbu de sa personne, mauvais, de rester dans son coin pour observer les faiblesses et les tares des autres. “Oui, c’est vrai, nous sommes pleins comme des grandes de faiblesses, seulement des faiblesses, des quantités de faiblesses, mais cependant les Juifs ont droit à des égards, parce qu’ils sont généreux et prodigues. L’argent ne compte pas à leurs yeux, ils vendent leurs maisons pour venir vivre dans des misérables pensions, ils n’ont pas de terres ni d’entrepôts et ils prennent le premier train du soir pour aller où le vent les portera. Il y a des choses qui comptent plus que la fortune. La lumière compte plus que la fortune, la vie. Nous avons soif de vie. Personne ne pourra étancher cette soif. Nous dépenserons, nous vendrons tout, même notre manteau, tu comprends, maintenant?” ».

Page 129 : « Ils empruntèrent le raccourci en marchant à des rythmes différents. Zoussi avait l’intuition que des pensionnaires aimables allaient arriver par le train de midi et les autres se laissaient bercer par cet espoir. Zaltzer dévia la conversation pour parler de la religiosité exagérée de Maria. Il conclut en disant : “Elle n’a pas toujours baigné dans la foi. Il faut croire que c’est l’effet de l’âge.

- Elle respecte beaucoup les traditions religieuses des Juifs, dit Zoussi de sa voix superficielle habituelle.

- C’est vrai, mais parfois elle éveille en nous, Juifs de naissance, des sentiments de culpabilité inutiles, répondit Zaltzer, qui manifestement avait longtemps ressassé cette phrase.

- Il y a en elle une force que nous ne possédons pas, dit Rita.

- Moi, je n’aime pas les contradictions, dit Zaltzer. Que chacun reste attaché à sa foi ”. »

Page 154 : « Rita sut que c’était la dernière conversation qu’elle avait avec son fils. Désormais, il allait sombrer en elle comme une pierre, et se fondre avec le souvenir maudit de son père. Elle en conçut un étrange soulagement. Comme si elle avait enfin compris qu’elle avait atteint un point de non-retour. […] Sans la pension de Zaltzer, sans cet abri temporaire, sa vie aurait ressemblé à une course ininterrompue sur des rails enfoncés dans la boue. Où qu’elle tournât la tête, il n’y avait qu’obstacles, visages désagréables et mauvais goût. »

Mon avis

Je découvre cet auteur, aujourd’hui très âgé à travers ce roman métaphorique. L’occasion de plonger dans un pan de notre histoire européenne commune. Un livre émouvant. Mais austère.

« Les eaux tumultueuses », de Aharon Appelfeld, Editions de l’Olivier, 19€. Traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti.

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