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Voici assurément l’un de mes coups de coeur de cette rentrée littéraire ! Avec « Lame de fond », Linda Lê signe un roman dérangeant, troublant et formidablement écrit.

Vietnamienne, Linda Lê a quitté son pays pour la France en 1977. C’est au Havre, avec sa mère et ses soeurs qu’elle commence une nouvelle vie. Elle est auteure de nombreux romans. Et a reçu de nombreux prix. En 2011, elle a reçu un le prix Renaudot poche pour « A l’enfant que je n’aurai pas », chroniqué sur ce blog ici.

 

photo lesinrocks.com

 

Linda Lê avoue volontiers qu’elle n’a plus une connaissance intime de sa langue natale. Le français, appris dès l’enfance, à Saigon, est devenu, sa langue. Qu’elle maîtrise d’ailleurs à la perfection.

La preuve avec son nouveau roman,  » Lame de fond « . L’histoire ? Elle est tragique. Dès la première page en effet, on apprend que Van, Vietnamien installé en France depuis plusieurs décennies, correcteur de profession, vient de mourir sous les roues de la voiture… de son épouse, Lou. Le décor est planté. Reste à comprendre ce qui a pu conduire ces deux personnages à une telle extrémité.

Au fil des 277 pages, les quatre personnages principaux vont s’exprimer, se raconter. il y a donc Van, qui nous parle de l’au-delà, Lou mais aussi leur fille, Laure. Adolescente rebelle et trop gâtée. Elle fait le choix de coucher sur le papier ce qui la traverse depuis la mort de son père adoré.

Et enfin Ulma. Celle par qui le scandale arrive, à cause de qui l’édifice matrimonial et familial, déjà fragilisé, s’écroule… Elle s’est inventé un psychiatre pour raconter ce qui la hante. Ce qui l’a taraudé. 

Une histoire d’adultère qui tourne mal ? Ce serait trop simple. Chez Linda Lê, la quête d’identité, des origines sont toujours des éléments de l’histoire. On plonge alors dans celle de Van, qui a quitté son Vietnam natal en guerre. Puis dans celle de Lou, fille d’une Bretonne raciste et bête. Sans oublier Ulma, la demi-soeur de Van, l’amour interdit, l’ultime rempart.

Entre ces quatre personnages, trop de silences, trop de malentendus. Générations, milieux, origines… autant d’arguments qui opposent les personnages. Seuls Van et Ulma se ressemblent.

Extraits

Page 11 (Van) : « Je n’ai jamais été bavard de mon vivant. Maintenant que je suis dans un cercueil, j’ai toute latitude de soliloquer. Depuis que le couvercle s’est refermé sur moi, je n’ai qu’une envie : me justifier, définir mon rôle dans les événements survenus, donner quelques clés pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce qui n’est qu’un fait divers. Je n’ai pas un penchant au regret, mais il me faut faire mon examen de conscience, si inutile qu’il soit désormais.  Le souvenir que je laisse est celui d’un partisan des solutions hybrides, habitué à ajourner, soucieux de n’exaspérer personne, de ne pas empirer les choses en manquant de diplomatie. Je ne suis pas un de ces vieux hiboux formalistes, ni un de ces faiseurs d’embarras toujours persuadés d’être supérieurs à tout le monde. Non, j’ai veillé à ne pas incommoder mes proches, pas seulement, par horreur des dissensions domestiques, mais parce que je ne suis pas un homme à problèmes. « 

Page 66-67 (Lou) : « Mon mariage avec lui avait quand même atteint sa vitesse de croisière, le bateau tanguait parfois, mais ne s’échouait pas. Sans Ulma, et le cortège de perturbations qu’elle charriait derrière elle, nous aurions calfaté les voies d’eau et nous aurions tracé notre route malgré les aléas. Elle apparue, Van se détachait de moi. Je ne pouvais rien contre cette vague venue des profondeurs, non contre l’usure des sentiments de Van pour moi. Je n’avais pas une armure indestructible. Je me croyais inaccessible à la jalousie, la mortelle jalousie qui rend marteau et conduit aux excès d’emportement. Je n’étais pas femme à créer des histoires, j’avais fermé les yeux sur son manège donjuanesque, tant que cela ne tirait pas à conséquence, mais avec Ulma, c’était autre chose. Il était mordu. »

Page 164-165 (Laure) : « Tout me ramène à Van. Il est le pivot autour duquel tout gravite. Quand quelqu’un meurt, les survivants ont tendance à lui tresser des couronnes, je n’ai pas donné là-dedans, je n’ai pas fait de Van un portrait flatteur. Il avait ses petits côtés, et il ne s’était pas arrangé au fil du temps. Il se fichait en boule à la plus légère contradiction, il partait du principe qu’il avait toujours raison, que j’étais une sale gosse, que Lou n’était pas assez sévère avec moi. En plus, j’ai comme copain un dealer mutirécidiviste. »

Mon avis

Un très beau roman, magistral. Dans l’univers de Linda Lê, la mort rôde souvent, mais elle a ce pouvoir de faire parler, de délier les langues et d’obliger les personnages à se rapprocher au plus près de leur vérité. Linda Lê a l’art d’emberlificoter les vies. Avec talent.

« Lame de fond », de Linda Lê, Christian Bourgois éditeur, 277  pages, 17€.

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