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C’est la rentrée ! Et le landerneau littéraire bruisse, depuis le 15 août, des noms à suivre, des auteurs à découvrir et des romans qu’on peut d’emblée oublier… Une tradition française et, pour le coup, une véritable exception culturelle !

Jusqu’à la mi-octobre, ce sont ainsi 646 romans qui vont s’installer sur les tables des libraires, dans les grands magasins. Pour un temps plus ou moins long selon la notoriété des auteurs… et la qualité de leur production. Qu’il s’agisse d’un premier roman ou d’un énième épisode d’une même histoire râbachée.

Comme tous les ans, des noms bien connus ressortent du chapeau médiatique. Sur Quatrième de Couv, je ne vous parlerai pas d’Amélie Nothomb ou de Philippe Delerm, d’autres s’en changeront. Ici, nous allons essayer de vous faire découvrir d’autres auteurs, déjà connus et reconnus ou pas.

Impossible pour moi en cette rentrée littéraire de septembre de passer à côté du nouveau roman de Mathias Enard, « Rue des Voleurs ».

Des années déjà que cet auteur s’est fait une place dans le paysage littéraire. Son univers ? Difficile de le définir tant ses livres successifs évoquent des thématiques différentes. « Zone », – une seule phrase écrite sur quelques 500 pages –, avait donné à l’auteur l’occasion de collectionner des prix. Puis « Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants » nous avait plongé dans les affres de la création au XVIe siècle. Dernièrement, c’est son roman « Remonter l’Orénoque » qui était adapté au cinéma avec, excusez du peu, Juliette Binoche dans le rôle principal.

 

Mathias Enard, né en 1972, a étudié le persan et l’arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Photo Georges Séguin ( Ikko)

L’histoire de ce nouveau roman ? C’est celle de Lakhdar. Un jeune Marocain de Tanger. Il vit entre ses parents, le lycée et les polars qu’il dévore. Pas trop de religion. Les filles aussi l’intéressent. Et surtout sa cousine Meryem. Ensemble, ils vont « fauter ». Lui est chassé. Elle, en mourra. Dès lors, sans personne ni moyen, Lakhdar va errer, puis trouver du travail dans une librairie islamiste, avant de taper au kilomètre les noms des victimes de la Grande Guerre puis de rejoindre un ferry comme homme à tout faire. Il travaillera ensuite dans une entreprise de pompes funèbres un peu spéciale puis de se retrouver à Barcelone. Sans papier ni but. A part celui d’être auprès de Judith, la jolie étudiante rencontrée à Tanger avec son camarade Bassam, enrôlé par le Cheikh Nouredine.

Une histoire d’aujourd’hui. Le Printemps arabe est amorcé. A Sidi Bouzid, en Tunisie, un jeune adulte s’est immolé pour signifier sa colère. La population se mobilise. Le Printemps fleurit dans d’autres pays… même au Maroc. On suit Lakhdar dans son exil. De l’autre côté de la Méditerranée pourtant, l’avenir n’est pas rose. La crise saigne l’Europe. En Espagne, les Indignés sont dans la place.

Au fil des pages, Lakhdar poursuit son chemin au milieu du champ de bataille. Sans jamais faire demi-tour. Mais pourrait-il faire autrement ? Son horizon est bouché. Il se réfugie dans l’ironie, la littérature classique arabe et les rêves d’un avenir meilleur. On suit son cheminement. Comme une chronique. Implacable.

Une vidéo pour découvrir l’intention de l’auteur avec « Rue des Voleurs » :

Extraits

Page 18 :  « On devient l’équivalent humain du pigeon ou de la mouette. Les gens nous voient sans nous voir, parfois ils nous donnent des coups de pied pour que nous disparaissions et peu, bien peu, imaginent sur quel bastingage, sur quel balcon nous dormons, la nuit. Je me demande à quoi je pensais, à l’époque. Comment j’ai tenu. Pourquoi  je ne suis pas tout simplement rentré au bout de deux jours chez mon père m’effondrer sur le canapé du salon. « 

Page 49 : « L’indignation ( dont j’avais vaguement entendu parler par Internet) me semblait un sentiment assez peu révolutionnaire, un truc de vieille dame propre surtout à vous attirer des gnons, un peu comme si un Gandhi sans projet ni détermination s’était un beau jour assis sur le trottoir parce qu’il était indigné par l’occupation britannique, outré. Ca aurait sans doute fait doucement rigoler les Anglais. Les Tunisiens s’étaient immolés par le feu, les Egyptiens s’étaient fait tirer dessus place Tahrir, et même s’il y avait de grandes chances pour que cela finisse dans les bras du Cheikh Nouredine et de ses amis, ça faisait un peu rêver quand même. »

Page 200 :  » A défaut d’université, j’essayais de me cultiver, de ne pas perdre mon temps. J’étais conscient que c’étaient les livres qui m’avaient obtenu les meilleurs situations que j’ai jamais eues, à la Diffusion de la Pensée coranique et chez M. Bourrelier ; je sentais confusément qu’ils me donnaient une supériorité douloureuse sur mes compagnons d’infortune, clandestins comme moi – sans parler d’un loisir presque gratuit. »

Mon avis

Etre au coeur de l’actualité récente. Faire le choix de « l’extrême contemporain ». Mathias Enard a saisi une option pour le moins « casse-gueule » en traitant du Printemps arabe dans ce nouveau roman. Il s’en tire plutôt bien. Et c’est avec un réel plaisir de lecture que l’on suit son héros, Lakhdar, jeune marocain sacrifié par le poids de la tradition et de la misère. Le récit, à la première personne, est sensible. Très attachant. Et terriblement ancré dans la réalité. C’est la nôtre. Pour peu qu’on regarde un peu plus loin que nos préjugés. Un grand roman.

« Rue des Voleurs », de Mathias Enard, Actes Sud, 21,50€.

 

 

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