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Une référence. Absolue. Annie Saumont est à la nouvelle ce que Rimbaud est à la poésie. A plus de quatre-vingts ans, elle vient de publier  » Le tapis du salon » et nous livre un nouvel opus plein d’humanité et d’histoires souvent tristes.

Annie Saumont est reconnue comme LA spécialiste française et contemporaine de la nouvelle en tant que genre. Née à Cherbourg en 1927, elle a passé son enfance et adolescence près de Rouen.

Elle veut être écrivaine. Elle fait des études d’anglais, devient spécialiste de littérature anglo-saxonne et traductrice. Or, les Anglais et Américains sont grands amateurs de nouvelles, un genre peu répandu finalement en France.

Pour Annie Saumont, une nouvelle se définit ainsi : un texte court avec une intensité dramatique forte et une chute définitivement fermée. Tout n’est pas dit, ni écrit. Au lecteur de combler les manques. Sur France 5 récemment, l’auteure rappelait tout le temps passé à choisir chaque mot, à raturer.

Une gymnastique que son travail de traductrice facilite. Rappelons qu’Annie Saumont est, entre autres, traductrice de Salinger, excusez du peu. Beaucoup étudiée dans les collèges et les lycées, Annie Saumont occupe une place bien particulière dans la littérature française.

Dans l’émission de François Busnel, « La grande librairie« , elle s’explique sur son travail. Regardez l’émission du 19 janvier 2012, sur le site, ici.

Ou encore là !

Dans ses textes, l’errance, la fragilité, l’inadvertance, les erreurs fatales, les failles… sont présentes à chaque nouvelle page. Les personnages s’en accommodent. Souvent sans espoir de pouvoir revenir en arrière.

Une forme de littérature à part mais qui a valu à cette grande dame le Goncourt de la Nouvelle, le Grand prix de la Nouvelle de la Société des gens de lettres, le Prix Renaissance de la Nouvelle et le prix de l’Académie française.

Dans « Le tapis du salon« , Annie Saumont brode une dentelle pleine de trous, d’histoires souvent curieuses, étranges ou bancales. Il suffit de se laisser prendre au jeu.

Les nouvelles, on en compte dix-huit ( dont trois autour d’un tapis dans le salon !). Petit passage en revue.

 

Dans « Vacances« , on suit la relation entre deux soeurs. L’une est si jalouse. Elle s’invente une vie avec Greg, l’amoureux de sa soeur Charlotte.

Page 28 :  » Ce soir, rien n’est encore trop difficile. Demain matin au petit-déjeuner, Charlotte racontera les heures éblouissantes qu’elle a vécues avec Greg. Je baisserai un regard bovin sur ma poitrine (immense) et pour me consoler je bâtirai un château en tartines. Le passage pour le monde à l’envers où je suis mince et souple s’est soudain refermé. You can’t always get what you want. je voulais Grégory. J’ai l’estomac tellement crispé tellement tordu, je vais vomir. Demain je maigrirai parce qu’un chagrin d’amour personne n’ignore que ça coupe l’appétit. »

Page 35, dans « Le tapis du salon 1 » : « Sarie avait dit merci. Pour le tapis. Sarie l’avoit roulé contre la cloison. Puisqu’elle n’avait pas de salon. Elle disait que si un jour elle possédait un château – Et puis son ami ne m’a plus supporté. Un gosse qui épiait, jugeait, se taisait. Qui ne s’agitait follement que dans ses crises d’épilepsie. malgré les médicaments que j’avalais pour me calmer ça faisait peur. Son amie l’a quittée, s’est mis en ménage avec une autre. »

Vie dans une classe qui découvre la poésie, enlèvement qui tourne au n’importe quoi à cause d’un cafard, Miranda, jeune collégienne qui décrit sa vie de fille de taulard tandis qu’elle rêve juste d’une maison sur la tête… Les histoires se suivent et ne se ressemblent pas.

Page 59 dans « A la maison« . Miranda dresse un abécédaire avec les mots de son quotidien. « I comme île. Maman avait projeté qu’avec l’argent du RMI on irait passer quelques jours sur une île. Pendant l’été. Le prochain ou un autre plus tard. Mais pas trop tard, je serais encore – c’est certain –, une petite fille. »

Dans « La dent », l’amour fait mal. Son absence terrasse une jeune fille. Page 96 : « Il a dit, enfin te revoilà. Ecoute, on se marie. Comme si on l’avait longtemps projeté et qu’enfin la décision soit prise. […] J’ai levé les yeux vers lui. J’ai eu un sourire immense. Il a dit, tranquille, confortable, ça sera vraiment sans problème de te surveiller les gencives. De vérifier que tout va bien. Je t’aurai sous la main. On se marie, ta mère et moi. »

Enfin, fans « Le tapis du salon 3« , page 169 : « Sa femme a commandé cet automne un tapis pour le salon, elle n’a pas tort de se hâter de dépenser l’argent du ménage avant qu’il n’offre des fourrures à la pharmacienne aux yeux de charbon, minaudant, Monsieur Barcellois prenez une pastille à la résine de pin, attention aux maux de gorge par ce vilain temps brumeux. »

Voilà de quoi réchauffer nos soirées d’hiver ! Annie Saumont a un univers bien à elle. Fait d’histoires un peu étranges, souvent sans ponctuation. Tant pis ! Tout y est ! Le cadre, les personnages et cet événement ou cet instant où tout bascule. Irrémédiablement, en quelques pages seulement.

Pas question pour l’auteure de juger, de dénoncer les travers de notre société. Annie Saumont se veut témoin. Implacable. A (re)découvrir à travers sa longue bibliographie. Bonne lecture !

 » Le tapis du salon », Annie Saumont, Julliard, 16€.

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