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« Ecrire, c’est chercher le mot juste, le plus juste possible. » Et Véronique Bizot sait de quoi elle parle ! Il y a quelques jours, l’auteure se voyait remettre le huitième Prix du Style pour son roman paru à la rentrée chez Actes Sud,  » Un avenir« , une histoire de famille drôle et délicieusement cruelle. Désopilante aussi.

Cent quatre pages lui suffisent ( elle écrit court, Véronique Bizot !) pour raconter l’histoire de Paul qui reçoit une lettre de son frère Odd, qui lui annonce « qu’il disparait pour un temps indéterminé » et lui demande, en post-scriptum, s’il peut passer chez lui vérifier que le robinet d’un lavabo du deuxième étage de la maison familiale a bien été purgé. Paul, souffrant, s’en va, parcourant les trois cents kilomètres qui le séparent dudit robinet. S’ensuit un road trip singulier, déroutant. Bref, tout l’univers de Véronique Bizot !

Elle a ainsi remporté le prix au second tour devant Laurent Mauvignier pour « Ce que j’appelle oubli« , court livre publié aux Editions de Minuit.  Organisé par le label littéraire Plume & Plomb, ce prix récompense chaque année depuis 2005 un ouvrage d’expression française pour sa qualité stylistique, écrit par un auteur vivant et publié dans l’année écoulée.

En 2010 déjà, Véronique Bizot qui se définit elle-même comme une « gentille personne affligée de la conscience du pire », avait reçu le Prix Lilas et le Grand prix du roman de la Société des Gens de Lettres pour « Mon couronnement ».

« Mon couronnement« , c’est par ce petit roman (108 pages) d’une centaine de pages, paru chez Babel, la déclinaison poche d’Actes Sud, que j’ai découvert l’auteure. L’histoire ? Elle n’est pas banale. C’est celle de Gilbert Kaplan. Un homme sans âge, veuf et scientifique à la retraite. Il vit seul. Enfin, pas vraiment. Maud Ambrunaz, une « vieille fille » veille sur son quotidien. La femme de ménage s’occupe de la vaisselle, du linge et de la conversation. Tout en lui cuisinant des plats de lentilles.

Un jour, Gilbert Kaplan apprend qu’il va être décoré pour une découverte scientifique qu’il a oubliée depuis longtemps. Et tandis que l’heure des honneurs approche, – le téléphone sonne d’ailleurs, les anciennes connaissances prennent des nouvelles –, ce dernier plonge dans son passé. Se souvient de sa première femme qui, un jour, a préféré se jeter par la fenêtre ( elle était autant fanatique de décoration intérieure que de suicide !). Il se remémore également sa soeur Louise, adorée et disparue après avoir suivi un évêque défroqué jusqu’en Afrique. Il y a sa soeur Alice aussi, qui ne va pas tarder à sonner avec son chiffon à poussière, son frère, auteur à succès et peu enclin à s’intéresser à son frère, puis son propre fils, qu’il connaît finalement assez peu… De quoi se rendre compte, in fine, que Kaplan est un homme seul. Mais pas désespéré !

Un roman à l’humour amer, tendre aussi et qui nous rappelle que, dans nos vies, l’absurde n’est jamais loin.

Page 12 : « Scientifiquement couronné ? ai-je répété en moi-même, debout au centre de la pièce. Je ne voyais pas du tout de quoi il était question. D’un seul coup le salon a été plein de mains tendues dans ma direction, de sourires et de félicitations et je me suis instinctivement rapproché de l’escabeau ».

Page 34 : « […] Mon fils m’a constamment tout reproché et tout ce qu’il m’a reproché, il l’a entassé dans le sac de mon insensibilité, après quoi il s’en est allé vivre sa vie, flanqué de ce sac plein de mon insensibilité. Dieu sait où il s’en est débarrassé et si même il s’en est débarrassé ; à le voir, rien ne dit qu’il l’ait fait. »

Achat d’un costume, petite virée au Touquet histoire de prendre l’air avant la cérémonie, Gilbert Kaplan se plie de bonne grâce ( ou presque) aux attentions de Mme Ambrunaz avec laquelle il a décidé de partager un caveau, plus tard. Quand la mort sera venue. En attendant, Gilbert Kaplan fait du mieux qu’il peut. Un peu perdu. Toujours seul.

Page 87 : « A sa façon, votre soeur vous aime, me dit Mme Ambrunaz. Mais je n’ai pas envie qu’on m’aime, j’ai seulement besoin de croiser des gens aimables. Et comme chaque fois que je pense à ma soeur Alice, je me mets à penser à ma soeur Louise que je serais si heureux d’accueillir, avec son rire qui vous allège de tout. »

Chouette découverte !

 « Un avenir », de Véronique Bizot, Actes Sud, 15€.

« Mon couronnement », de Véronique Bizot, Babel, 6,50€.

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