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SILENCE

 Dennis Lehane m’accompagne depuis plusieurs décennies. J’ai dévoré nombre de ses romans noirs pendant des années. Avant de m’éloigner durablement. Une critique radiophonique de son dernier roman en date, Le silence, m’a donné envie de replonger. Et je ne le regrette pas.

L’auteur quinquagénaire, américain d’origine irlandaise, nous emmène cette fois à South Boston que l’on surnomme Southie,  quartier irlandais de Boston (ville récurrente dans son oeuvre). Nous sommes en 1974.  Pendant l’été. Mary Pat Fennessey mène une existence routinière.

Un soir, Jules, sa fille de dix-sept ans, ne rentre pas à la maison et sa trace disparaît dans la chaleur moite de la ville. La même nuit, un jeune Noir se fait mortellement percuter par un train dans des circonstances suspectes. Ces deux événements sans lien apparent plongent les habitants de Southie dans le trouble.

Une femme qui se bat

D’autant que la récente politique de déségrégation mise en œuvre par la ville provoque des tensions raciales et qu’une grande manifestation se prépare contre la mise en place, dès la rentrée, du « busing », soit la mixité raciale appliquée de force. Dennis Lehane, qui affirme avoir vécu ces heurts et manifestations quand il avait neuf ans, entraîne ses lecteurs

Dans la recherche effrénée de sa fille, Mary Pat, qui croyait appartenir à une communauté unie, voit les portes se fermer devant elle. Face à ce mur de silence, cette femme en colère devra lutter seule pour faire éclater la vérité, aussi dévastatrice soit-elle.

 

Le Silence met à nu le cœur sombre d’un pays en plein désarroi à travers le portrait d’une mère au cœur brisé. Une mère prête à tout pour comprendre. Pour, du moins, essayer. Elle ne lâchera rien. Remontée, révoltée. Rageuse. Déterminée. Tout en posant des questions sur la révolution sociale et raciale qui secoue sa communauté et ses idées.

L’auteur, entre autres romans des best-sellers Gone, Baby, Gone ou encore Ténèbres, Mystic River et Shutter Island (qui a inspiré le film de même titre, réalisé par Martin Scorsese, avec Leonardo DiCaprio, en 2009) signe là un roman percutant et le portrait implacable d’un pays qui peine à se séparer de ses démons.

Dennis Lehane, qui affirme avoir vécu ces heurts et manifestations quand il avait neuf ans, a su trouver des mots simples pour dire toute la complexité de l’Amérique, Boston particulièrement, des années 70. Avec son écriture fluide, phrases courtes et percutantes, il déconstruit la fabrique de la haine et désigne les profiteurs. Un immense roman.

 

Extraits

Page 45 : « […] A cet instant, Mary Pat éprouve un sentiment de proximité avec les Noirs qui la surprend. Est-ce qu’ils ne sont pas tous victimes de la même chose ? Est-ce qu’on n’est pas en train de leur dire à tous comment ça doit marcher ? 

En fait, non, parce que des tas de gens de couleur ont voulu ce qui arrive. Ils sont allés devant les tribunaux pour ça. Et si vous venez d’un quartier merdique comme Five Corners ou des cités coupe-gorge de Blue Hill Avenue ou Geneva Avenue, bien sûr, vous avez envie d’aller dans un endroit plus agréable. Mais Southie n’est pas un endroit plus agréable, c’est juste un endroit plus blanc. Southie High est un lycée aussi pourri que Roxbury High. »

Page 73 : « […] Mary Pat regarde fixement sa soeur par-dessus la table. Est-ce là ce que les gens pensent vraiment au sujet de son fils ? Que c’est le Vietnam qui l’a amené à la drogue ? Mary Pat a essayé de voir les choses de cette façon pendant un certain temps mais ensuite elle s’est rendue à la triste vérité : Noel n’a pas découvert l’héroïne au Vietnam (le Thaï stick, oui, l’héroïne, non) ; c’est l’héroïne qui a découvert Noel, dans les cités de South Boston. »

Page 311 : « […] Mary Pat n’est pas experte et sa vision est limitée, mais elle sait reconnaître un fusil quand elle en voit un. 

Pourquoi un dealer de Southie est-il en train de donner des fusils à trois types noirs de Roxbury à la veille de la mise en application forcée de son histoire de busing ? 

Mary Pat appuie la tête en arrière contre son siège. 

Putain, qu’est-ce qu’ils peuvent bien mijoter ? « 

 Le silence, Dennis Lehane, traduit de l’américain par François Happe, éditions Gallmeister, 25,40 euros

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