Flux pour
Articles
Commentaires

Rentrée littéraire

31cWo4jBRyL._SX195_

Un premier roman, oui. Encore ! Celui-ci est atypique par le sujet adopté et la mise en scène choisie par la jeune auteure Anouk Lejczyk.  A 31 ans, celle-ci a suivi des études de lettres et les beaux-arts puis a réalisé deux docmentaires : l’un au Pérou en 2012, le second dans la mangrove sénégalaise, en 2017.

De retour en France,  elle rejoint en 2017 le master de création littéraire de Paris VIII  (comme Hélène Laurain,  l’auteure de Partout le feu notamment ) pour revenir à son premier amour : l’écriture. Depuis, la trentenaire explore son sujet de prédilection : les mondes forestiers et les façons de les écrire comme de les habiter. Tout en suivant une formation de bûcheronnage, en région parisienne. Mais sans, pour l’heure, avoir croisé un chat sauvage, semble-t-il.

L’histoire de Felis Silvestris  ? Celle d’une jeune femme qui, sans crier gare, part rejoindre une forêt menacée de destruction. Elle porte une cagoule pour faire comme les autres et se protéger du froid. Suspendue aux branches, du haut de sa cabane, ou les pieds sur terre, elle contribue à la vie collective et commence à se sentir mieux. Mais Felis Silvestris, le nom qu’elle se choisit, – chat sauvage (celui que l’on trouve dans les arbres, dans les forêts) –  ignore que c’est sa soeur qui la fait exister. Et qui nous raconte son histoire.

Celle d’une jeune femme qui a grandi, évolué avant de se perdre. Et de vouloir rejoindre des zadistes installés dans une forêt, mobilisés contre une multinationale qui exploite du charbon dans une forêt pleine d’animaux protégés.

Entre les quatre murs d’un appartement glacial, chambre d’écho de conversations familiales et de souvenirs, la jeune femme tire des fils pour se rapprocher de Felis – sa soeur, sa chimère.

Progressivement, la forêt s’étend, elle envahit ses pensées et intègre le maillage confus de sa propre existence. Sans doute y a-t-il là une place pour le chat sauvage qui est en elle.

Le temps d’un hiver nous voilà entraînés dans une histoire intime et sensible, nous mettant face à des choix de vie. Radicaux.

Extraits

Page 11 : « Je ne crois pas t’avoir jamais entendu dire lignite. Ni mine à ciel ouvert. Ni mort-terrain. D’ailleurs, si c’était le cas, je l’aurais sans doute compris en un mot : morteterrain. Et tu m’aurais expliqué dans ton langage, ce langage bien à toi que je saisissais pourtant, que le mort-terrain, c’est cette immense surface de terre que les humains laissent à l’abandon après que leurs ogres-machines l’ont creusée, fouillée de fond en comble, pillée jusqu’au dernier caillou. Oui, aurais-tu ajouté, les humains font ça : ils volent toutes les ressources d’une terre et la laissent éventrée, les tripes minérales à l’air, dessinant propre cimetière. »

Page 40 : « On dit que quelque chose en toi a silencieusement dérapé. Sans savoir quoi, ni quand, ni comment, ni pourquoi Enfant, des taupinières se sont peu à peu installées sur tes doigts : pouce puis index, majeur, annulaire, tes deux auriculaires épargnés. Toujours prête à comparer, maman disait qu’elle avait bien du psoriasis depuis toute petite et que ça ne l’avait pas empêchée de se marier ni d’avoir des enfants. Toujours prêt à dévier, papa te conseillait de faire diversion avec d’autres éléments plus tape-à-l’oeil. Tu te peignais donc les ongles de vernis multicolore, dessinais sur tes bras de faux tatouages, te bariolais de visage de maquillage ; des bagues énormes recouvraient tes mains. »

Pages 142-143 : « C’est avec les personnes de son quotidien que maman a le plus de mal à en parler. Je veux dire, de toi, de votre forêt. Elle ne sait pas quoi raconter ni par où commencer. Elle pense que ses collègues de bureau, par exemple; ne comprendraient pas. Pour la plupart, en guise de rupture de cordon, les enfants ont acheté une maison dans le village d’à côté. Alors, de là à leur expliquer qu’après sept ans d’études et quatre de vie professionnelle tu as choisi d’aller passer l’hiver dans les arbres, il lui faudrait tout reprendre à zéro, de la petite enfance à l’adolescence, de la fac à l’âge adulte – une vie entière de pauses-café. Ce n’est pas qu’elle ait honte, non, bien au contraire : je veux croire qu’elle éprouve une inavouable fierté. »

 Felis Silvestris, Anouk Lejczyk, Les éditions du Panseur. 

 

Laisser un commentaire

*