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Rentrée littéraire hiver 2022

PARTOUT LE FEU

A chaque rentrée littéraire son lot de pépites ! Je les trouve plus volontiers parmi les premiers romans qui définitivement, me fascinent.

Le premier roman écrit par Hélène Laurain coche un grand nombre de cases !

La jeune femme, née en 1988, a étudié les sciences politiques ainsi que l’arabe en France et en Allemagne, puis la création littéraire à Paris-VIII. Elle vit dans le Grand Est avec sa famille et y travaille en tant que traductrice de l’allemand.

Hélène Laurain anime actuellement un groupe de lecture au Fonds régional d’art contemporain de Lorraine autour du thème de l’émancipation.

Elle s’intéresse notamment à ce qui a trait au vivant, au féminisme, à la maternité, et s’attache à trouver des formes qui disent le contemporain. Comme ici, sans utiliser la moindre virgule, ou un seul point.

L’histoire ? Laetitia est née trois minutes avant sa sœur jumelle Margaux et trente-sept minutes avant l’explosion de Tchernobyl. Malgré des études dans une grande école de commerce, elle grenouille au Snowhall de Thermes-les-Bains, au désespoir de ses parents. Elle vit à La Cave où elle écoute Nick Cave, obsédée par les SUV et la catastrophe climatique en cours.

Il faut dire que Laetitia vit en Lorraine où l’État, n’ayant désormais plus de colonie à saccager, a décidé d’enfouir tous les déchets radioactifs de France. Alors avec sa bande, TaupeFauteurThelmaDédé, elle mène une première action spectaculaire qui n’est qu’un préambule au grand incendie final. Une génération Tchernobyl. Entière. Convaincue. En dehors des clous et des codes. Une communauté autrefois cimentée, qui se désagrège cependant.

Hélène-Laurain-©-©-Sophie-Bassouls-

Hélène Laurain nous plonge au coeur des activismes contemporains. Pas de ponctuation dans ce premier roman, mais un ton, une oralité qui  vous transporte. Qui vous emmène. Un « bricolage » qu’elle a façonné pendant la crise des Gilets jaunes, trouvant la forme de son premier roman dans l’échange de SMS entre Laetitia et Fauteur.

Sur le site Diacritik, l’auteure s’explique sur son dessein. Et la génèse de ce roman fascinant.

« Le titre Partout le feu s’est imposé plus tard, comme un constat au moment des méga-feux australiens. En même temps, j’avais envie d’un personnage très différent de moi, qui fait ce que je ne fais pas et inversement […] J’ai fini par trouver cet entre-deux, où Laetitia habite un Grand Est fantasmé mais vraisemblable — les noms de villes sont fictionnalisés —, où elle naît deux ans avant moi, le jour de l’explosion de Tchernobyl. Je pouvais me servir abondamment de ce que je connaissais tout en me laissant la liberté d’inventer. »

Helène Laurain explique également que ce premier roman, plus que le portrait d’une génération, aborde la question du deuil. Et même des deuils. Ceux de la religion du confort qui nous mène à notre perte, celui d’une vie réussie à travers une vision familiale, celui des espèces qui disparaissent, etc. Des deuils qui s’incarnent dans le personnage de Mémou, la mère de la narratrice.

La jeune femme explique s’être beaucoup documentée sur Bure, sur les déchets radioactifs, sur des interviews de militants. La première scène du livre fait référence à une action de Greenpeace à la centrale de Cattenom, près de chez elle. Et elle revient à plusieurs reprises sur le documentaire de Nicolas Humbert, Wild plantssorti en 2016.

Et de conclure : « Lors de l’écriture, j’espérais avant tout pouvoir traduire en mots l’expérience que je traversais : panique, sentiment d’urgence, désespoir, perte de repères, mais aussi parfois jubilation. Quand on écrit un livre, d’autant plus un premier dont on ignore s’il sera publié, je crois qu’on répond avant tout à ses propres besoins. En l’occurrence, il s’agissait pour moi de  faire exploser la petite fille sage, tenter de dépasser ma sidération devant la catastrophe, avec l’idée que si ces choses-là m’habitaient, je n’étais certainement pas la seule — l’éclosion, ces dernières années, de concepts comme « éco-anxiété » ou « solastalgie » le prouvent. »

 Extraits

Page 72 : 

« […] je commence à me rouler

une rare clope

en me demandant

ce que j’ai fait jusqu’à maintenant

comme si j’étais née aujourd’hui

31 ans de rien

ou pas grand-chose

peut-être qu’ils ont raison

quand ils disent que 

j’aurais dû continuer

les métiers avec les responsabilités

les perspectives de promotion

les échelons de salaire

les machines à capuccino

en illimité. »

Page 110 : « […] il t’accueille chez lui et voilà comme elle finit pas

c’est violent,

et ça le fout dans la merde

il doit prendre le bus pour aller à la gare

puis le train

il a trois heures aller-retour par jour

C’était pareil en SUV je réponds

ça fera toujours une voiture en moins sur les routes

pendant quelques jours

c’est déjà ça

et puis comme ça il verra

qu’en train c’est pas si terrible

il avait qu’à pas me virer de chez lui

alors que je suis galère

qui fait ça

quel père fait ça […] »

Page 153 : 

« […] Je suis à l’orée du bois Ledoux

à quelques kilomètres à peine de Boudin

ce que je m’apprête à faire

je le fais pour nous

un grand nous

tous ceux qui en ont besoin

peuvent être dans ce nous

pour qu’on nous écoute

pour qu’on nous croie

elle respire difficilement en détournant le regard

On a milité en paix

puis on nous a mutilés

on a mutilé la seule chose

la seule chose qui était précieuse

on a transformé notre histoire

en un récit de chaos on a réécrit

notre histoire. « 

 Partout le feu, Hélène Laurain, Verdier, 16€

 

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