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ROYAN OK

 

Soixante-neuf pages. Pas une de plus. Dans Royan, La professeure de français, Marie NDiaye nous livre un monologue écrit pour Nicole Garcia, qu’elle interprète d’ailleurs au festival d’Avignon cet été. L’histoire ? C’est celle de Gabrielle qui se dévoile en filigrane à la suite d’un terrible fait-divers : la mort d’une de ses élèves, une lycéenne, Daniella, qui s’est jetée du troisième étage par la fenêtre de sa classe.

Ce jour-là, les parents de la jeune fille harcelée, mal-aimée par ses camarades, l’attendent devant sa porte. Ira-t-elle à leur rencontre ?

Le texte, désespéré, violent par moments, est la voix de la narratrice. Dans son monologue vindicatif plane le sentiment d’une faute inexpiable dont la professeure de français se sent à la fois accablée et innocente.

« Comme toujours chez Marie NDiaye, une violence métaphysique se dégage des êtres et des situations, venue de si loin qu’il est impossible d’en déterminer la cause. Elle s’élève contre une injustice originelle indissociable, semble-t-il, de la condition humaine « , précise Gallimard.

 

Au fil des pages, on prend la mesure de la violence qui se dégage de la situation. Daniella s’est tuée. Parce qu’elle ne supportait plus sa situation de souffre-douleur. Une autre forme de violence apparaît, interne à la classe cette fois. Se dégage une troisième encore, celle des élèves à l’égard de leur professeure, en tout cas, ce qu’elle en perçoit.

Et puis il y a la violence qui, depuis très longtemps, accompagne cette professeure née à Oran en Algérie. Celle qu’elle a eue à l’égard de sa mère et réciproquement, trop souvent. Celle qui la guide aussi quand elle abandonne mari et fille alors qu’ils vivaient à Marseille. Celle qu’elle ressent enfin à l’égard de ses élèves parfois et de Daniella en particulier, parce qu’elle a choisi d’être différente…

Un texte en forme d’uppercut, sans ponctuation, qui traduit la détresse, la violence et cette distanciation que la narratrice veut absolument maintenir par rapport à l’événement, par rapport au ressenti des autres. Gabrielle est dans le contrôle, tout le temps. Une défense qui finit par se fendre. Un texte énigmatique aussi, toujours en tension.

Rappelons que Marie DNiaye a publié son premier roman à l’âge de 18 ans, en 1985. Elle n’a jamais arrêté depuis. En 2001, elle obtient le prix Femina pour Rosie Carpe.

Si Marie NDiaye est avant tout une romancière, elle a aussi écrit pour le théâtre, notamment Papa doit manger, pièce qui fait partie du répertoire de La Comédie Française. Elle a également écrit des nouvelles.

En 2009, elle reçoit le prix Goncourt pour Trois femmes puissantes.

En 2020, elle reçoit le prix Marguerite-Yourcenar pour l’ensemble de son œuvre.

Cette année, elle a publié son 18e roman, La vengeance m’appartientRoyan, La professeure de français est sa onzième pièce pour le théâtre.

 

 Extraits 

 Page 37 :« Vous auriez dû comprendre que Daniella était trop jeune trop tendre pour se maintenir farouchement hors du jeu courant de la séduction même de la bienséance tout simplement 

ses épaules bombées musclées la bretelle large de du soutien-gorge blanc

le col sali d’un tee-shirt qui bâillait sur son cou charnu

je n’aimais pas ça je lui en voulais je vous en voulais je lui en voulais je vous 

JE NE DOIS PAS REPETER 

épaules bombées cou charnu bras opulents on ne montre pas ces choses-là je lui en voulais je vous 

PAS REPETER OK ? 

mais épaules cou bras tant de tant de chair sauvage « 

Page 46 : » Parfois mes élèves m’apparaissent comme de grands fauves que la faim a conduits dans ma classe

C’est de moi qu’ils veulent se nourrir et non de ma parole 

J’ai claqué des mains et leur attention s’est tournée vers Daniella et leur faim était inassouvissable j’ai respiré d’être épargnée

Mes élèves sont de grands fauves auxquels je parviens généralement à faire oublier la faim 

mon cours est paisible ma voix fluide et sereine et je les tiens par des prestiges très simples »

Page 54 :« […] Oui parents Daniella m’a beaucoup écrit avant sa mort

elle m’a submergée de textes et de propos que je n’avais ni le don ni l’envie de comprendre

Sachant que ce qu’écrivent les très jeunes gens intelligents est toujours frappé au coin de l’autosatisfaction et de l’excès et d’une légère et complaisante paranoïa je n’avais aucune raison

non j’avais toutes les raisons de ne pas accorder à ce qu’elle m’envoyait l’attention qu’elle espérait. »

Royan, La professeur de français, Marie NDiaye, Gallimard, 9,50€ 

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