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TELEREALITE

Il y a vingt ans, nous regardions, interloqués et voyeurs, des jeunes femmes et hommes vivre enfermés dans un loft. Décadence ? Ultime modernité d’un siècle nouveau ? Allez savoir.

Aurélien Bellanger, quadragénaire, écrivain, chroniqueur radio et philosophe de formation, s’était déjà penché sur les grandes questions telles que l’information ou l’aménagement du territoire, en province comme à Paris.

Je l’avais découvert avec La théorie de l’information, paru en 2012. La biographie de son personnage principal, Pascal Ertanger, est largement inspirée de la vie du PDG de Free, Xavier Niel.

Auteur d’un essai sur Michel Houellebecq, Houellebecq écrivain romantique, en 2010. Il a écrit quelques poèmes, publiés sur son blog, Hapax. Il est également critique de philosophie pour nonfiction.fr depuis octobre 2007.

En 2014, le prix de Flore, lui a été attribué pour son deuxième roman, L’aménagement du territoire.En 2017, il publie Le grand Paris.

Que raconte-t-il dans Téléréalité ? La vie de  Sébastien Bitereau, qui fait forcément penser à celle de Stéphane Courbit, ancien patron d’Endemol et créateur du Loft, donc. Le fils d’un plombier-chauffagiste du sud de la France, féru de télévision, montera à Paris, après s’être rendu indispensable auprès d’un chef d’entreprise. Au jeu La roue de la fortune, il est dans les coulisses. Avant de devenir le mignon de Pascal Sevran. Désormais dans la place, rien ne l’arrêtera plus.

Aurélien Bellanger nous met dans les pas de ce Rastignac des années 1990-2000 qui ne se refusera rien, donnera vie à ses ambitions, jamais dupe cependant, mais sûr que la télévision est le dernier endroit où l’on crée. Qu’importe le format, pourvu qu’on ait l’impression d’exister !

L’idée du roman, il l’a eue après la lecture d’un article du Monde, consacré au rachat de la société néerlandaise Endemol par Banijay, qui appartient à Stéphane CourbitAurélien Bellanger précise avoir mis 51 jours à écrire ce nouveau roman, plus accessible que les précédents.

Développement des chaînes et des programmes, années fric avec les animateurs-producteurs, explosion de le téléréalité puis de la TNT… le parcours de Sébastien Bitereau, producteur sans beaucoup de morale, permet de retracer plusieurs décennies de la vie du Paf.

Aurélien Bellanger était l’invité de l’émission l’Instant M sur France Inter. A écouter et regarder par ici : 

https://youtu.be/Qq0AFUAkoJQ

 

Extraits 

 Page 33 :« On le prenait en général pour le fils du patron, et on lui obéissait. Mais Sébastien savait qu’il devait cette mystérieuse assurance à l’enregistrement secret des Feux de l’amour, qu’il se passait avant de s’endormir, en toute fin de soirée : cette mâle assurance, c’était celle de Victor Newman, le président de l’entreprise cosmétique du même nom, le patriarche abrahamique aux épouses et aux enfants innombrables, qui régnait sur Genoa City. »

Page 108 : « La nostalgie télévisuelle qui déferla soudain sur la France, Sébastien en était l’inventeur. C’était à lui et au foudroyant succès de Triple 7 – qui mérita bien son quatrième sept, un Sept d’or, l’année suivante – que la France dut sa sortie définitive des années 80, et son entrée, enfin, dans les années 90. Des années marquées, déjà, avec le générique anxiogène d’Envoyé spécial et les gyrophares glacés des scènes de reconstitution des reality-shows, par un goût retrouvé du sérieux, par un retour en grâce des genres intransigeants du reportage et du documentaire, des années blotties contre le réel à la peau froide et aux vêtements mouillés. »

Page 175 :[…] Il semblait à ce point ne pas partager son enthousiasme que Sébastien était tenté, contre toutes les promesses de confidentialité faites, dans l’euphorie du prodigieux décor, de foncer chez Philippe dès sa descente d’avion pour lui annoncer que sa quête était maintenant achevée  : la télévision, bientôt, posséderait enfin sa forme artistique propre. L’histoire de la perspective venait de croiser les grilles serrées de l’audimat : on était là face à une représentation parfaite, homothétique de la société, à sa réduction à quelques personnages connus de tous – la bimbo et le beau gosse, la grande gueule et le ténébreux, le timide et l’exubérante, l’intello et le mec cool, la fêtarde et le coincé. Et pourquoi pas, aussi, des profils ethniques ou sexuels, des Arabes et des gays, des lesbiennes et des trans. […]

Téléréalité, Aurélien Bellanger, Gallimard, 19€

 

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