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T.SINGER

 

 

Un roman venu du Nord, ça vous dit ? Je ne connaissais pas cet auteur norvégien avant de tomber sur « T.Singer », le troisième roman traduit en français du Norvégien Dag Solstad.

Ce dernier est considéré comme un romancier très cérébral dont l’oeuvre a évolué au fil des décennies.

Ses héros des années 1990, par exemple, partagent le sentiment que la culture et la société déclinent, et que la marchandisation et l’uniformisation prennent le pouvoir, et qu’ils se retrouvent en dehors de leur temps. Au lieu d’essayer de combattre le déclin, ils se retirent en eux-mêmes et finissent par être des spectateurs de la réalité qui les entoure. En parallèle à cette thématique du retrait, le style narratif devient plus philosophique et se rapproche de l’essai.

C’est le cas dans « T.Singer », publié en 1999.

Auteur d’une trentaine de livres, Dag Solstad est le seul auteur norvégien à avoir obtenu trois fois le prix de la Critique littéraire norvégienne. Il est également récipiendaire du prix de Littérature du Conseil nordique en 1989 pour Roman 1987 et en 2017, pour l’ensemble de son œuvre, du prix nordique de l’Académie suédoise, considéré comme le « petit Nobel ».

 

 

L’histoire ?

A 34 ans, Singer, dont on ne saura jamais quel prénom se cache derrière la lettre T, est un auteur sans succès ni inspiration qui obtient son diplôme de bibliothécaire. Il décide de quitter Oslo pour s’installer en province, à Notodden, dans une ville où personne ne le connaît. Là, il tombe amoureux d’une céramiste qu’il épousera d’ailleurs. Ensemble, ils élèveront la fille de Merete. Et c’est tout ? Non.

Le mariage se délite. Le jour de l’accident de voiture dans lequel Merete meurt, un nouveau chapitre s’ouvre pour Singer. Mais lequel ? Veuf à 39 ans, il décide de retourner à Oslo avec Isabella qui n’a encore que 6 ans. Il l’élèvera, embourbé dans la culpabilité. Mais sans jamais cependant nouer une relation profonde avec la petite fille. Sans jamais dire non plus que le couple qu’il formait avec sa mère était au bord de la séparation.

Le narrateur, au ton narquois, et aux digressions nombreuses, tente de nous expliquer au plus près la vie pleine d’un homme creux. L’employé modèle fut un mari parfait, un veuf exemplaire et un beau-père qui s’est donné de la peine. Et après ? Qu’est-ce qui le remplit ? Qu’est-ce qui l’habite ? T.Singer est détaché de tout. Et de tous. A l’exception d’un ami de longue date qu’il finira pourtant par faire fuir.

Au fil des pages, une langue riche, pleine, sans chapitre ni respiration. Et pas moins de 300 pages pour évoquer un vide et comment un homme est capable, consciemment, de passer à côté de sa vie, tout en ratiocinant. Un tour de force.

Extraits 

Page 33 :  » […] Il était, surtout au moment où commence ce récit, en proie à de sérieuses cogitations sur la signification qu’avait tout cela pour sa vie. Au moment où commence ce récit, Singer est sur le point d’aller s’installer dans la petite ville de Notodden pour de bon. Il est âgé de trente-quatre ans et sur le point d’intégrer un poste à la bibliothèque de Notodden. Sa jeunesse est terminée, il y a survécu. En tout état de cause, ces images infestées par la honte menacent à présent de déchirer en mille morceaux la mythologie de sa vie. Si elles ont une part de vérité, ce qu’elles ont dans la mesure où il est patent qu’elles surgissent dans sa conscience avec un tel effet taraudant, alors elles doivent avoir une certaine signification dans sa vie – force lui est de reconnaître, aujourd’hui, à trente-quatre ans, en tant que bibliothécaire diplômé étonnamment tard. » 

Page 144 : « […] Sous l’influence d’un coup de foudre amoureux, Singer a indéniablement changé. On reconnaît à peine en lui l’homme qui a été présenté en amont de ce récit. Si on l’observe maintenant, il est une personne créée par Merete Saethre, entretenue, soignée par elle. Oui, nous pouvons même affirmer sans commettre d’erreur que le Singer qui nous voyons maintenant a été créé à l’image de Merete Saethre, mais non sans un certain ravissement émanant de l’homme amoureux qu’il est. Il est en d’autres termes un homme qui aspire à atteindre une figure embellie de lui-même, créée pour lui par la femme qu’il aime, une silhouette idéalisée qu’il veut remplir tout entier. »

Pages 255-356 : « […] Elle évoluait à travers les pièces de l’appartement avec la plus grande évidence, elle grandissait, s’allongeait et s’étirait vers la vie, vers son avenir de jeune femme, elle grandissait, se redressait  et s’étirait vers ça, vers son avenir de jeune femme. Singer le voyait bien. Elle évoluait ici, entourée d’un homme étranger, lequel était tout aussi présent ici, qui subvenait en outre à ses besoins. A croire qu’elle ne remarquait même pas sa présence. Elle n’avait pour ainsi dire rien contre lui, mais il ne signifiait rien pour elle, Singer était forcé de l’admettre, maintenant qu’Isabella s’étirait vers sa féminité. Et il le vivait avec une douleur encore plus grande que lorsqu’elle était enfant car, désormais, la situation désignait en permanence nul autre que lui-même : Singer, le bibliothécaire âgé de quarante-six ans, vivant une existence confinée. » 

« T.Singer », de Dag Solstag, Editions Noir sur blanc. Traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud, 19€. 

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