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TOUS LES VIVANTS OK

Une très chouette découverte ! Une de plus ! Je ne connaissais pas Catherine Elaine Morgan, auteure américaine quadragénaire installée dans le Kentucky. Son deuxième roman, traduit en français l’an dernier –  » Le sport des rois « , avait beaucoup plu aux critiques et aux lecteurs. Elle avait d’ailleurs été finaliste du prix Pulitzer avec ce roman.

Celui-ci,  » Tous les vivants « , c’est le premier écrit. Il date d’une dizaine d’années. C.E. Morgan avait alors 34 ans.

L’histoire ? Elle se déroule, ai-je lu dans des articles sur ce roman, dans les années 80. Au fil des pages, rien ne permet de le dater de manière précise. Là n’est pas le sujet. Dans « Tous les vivants », ce qui compte ce sont les deux personnages et le décor. Nous sommes dans le Kentucky. A la campagne. Profonde. Ici, des champs de tabac à perte de vue. Ici, une ferme, isolée. A l’intérieur, un couple qui apprend à se découvrir.

 

Quelques mois seulement que Orren et Aloma se connaissent. Ils se sont rencontrés dans un établissement scolaire,  lors d’une sortie. Il a conduit les élèves. Elle est professeure de piano. Elle a vingt ans et est orpheline. Lui, âgé de 23 ans, s’est occupé de la ferme familiale avec son frère Cash et sa mère Emma depuis la mort de son père. Ils se trouvent, s’apprivoisent. Mais tout va très vite. Alors que la mère et le frère d’Orren meurent dans un accident de voiture, il demande à Aloma de venir s’installer avec lui. La tâche est immense. Il y a les champs de tabac, la pluie qui ne vient pas et cette ferme qu’il doit impérativement faire tourner pour vivre. Sauf que ces deux-là, dont les corps s’attirent souvent brutalement, ne savent pas se parler, se comprendre encore.

Catherine Elaine Morgan (Photo Guy Mendes pour Gallimard)

Catherine Elaine Morgan (Photo Guy Mendes pour Gallimard)

Face à la brutalité impatiente d’OrrenAloma tente de temporiser. Elle s’improvise femme au foyer, paysanne sans y parvenir vraiment. Les désillusions s’accumulent pour la jeune femme naïve qui doit prendre ses marques dans une maison décrépie, remplie de souvenirs et de fantômes qui ne sont pas les siens.

Ce que veut Aloma, c’est pouvoir continuer à jouer du piano. Coûte que coûte. Elle rejoint l’église de la ville la plus proche. Propose ses services au révérend Bell Johnson qui n’attendait plus rien. Son horizon s’ouvre. Mais pas seulement. Tant de questionnements se multiplient aussi pour celle qui sera tour à tour tentatrice, indifférente, furieuse, désespérée, inquiète voire inquiétante.

Le roman ne dure que le temps d’une saison. Mais quel spectacle ! Celui de la nature, celui des sentiments. On sent, on entend, on voit.

Extraits

Page 63 :« Elle descendit à tâtons les marches en bois et gagna les ombres du salon. Pourquoi tenait-il à vivre dans cette vieille maison plutôt que dans la neuve où il y avait de la lumière, du linoléum et l’eau courante, elle ne comprenait pas. On aurait dit qu’il voulait montrer au monde entier, un monde qu’il ne regardait même pas, qu’il était seul à présent, qu’il était douloureux d’être le dernier survivant, mais qu’il réussirait à surmonter sa souffrance. Peut-être la surmonterait-il mieux si elle était plus grande, comme si se vautrer dans la douleur était le secret pour endurer la souffrance. »

Pages 112-113 :« Ce n’était pas uniquement la peur qu’il découvre qu’elle vivait avec Orren sans être mariée, il y avait autre chose, la sensation d’une langue molle et inutile dans sa bouche quand elle était e face de lui. Elle se sentait presque intimidée par lui. En conséquence de quoi, elle savait qu’il la pensait plus douce et plus accommodante qu’elle n’était en réalité ; pourtant, cela avait beau être faux – la vie avait été trop dure avec elle pour qu’elle puisse se permettre d’être douce -, elle se révélait incapable d’y changer quoi que ce soit. Ou incapable d’en avoir envie. »

Page 139 : » […] Qu’est-ce que tu crois ? lance-t-elle, trop acerbe. Ses joues s’empourprèrent d’une rougeur qui n’échappa pas à l’observation d’Orren. Elle croisa les bras sur la poitrine et aspira une lèvre sous ses dents. ce n’était pas sa faute si elle était née au milieu de nulle part et avait passé la plus grande partie de son enfance dans une pension au fin fond d’un trou. Elle avait appris le piano. Et c’était une chose qui resterait toujours hors de sa portée à lui. 

Sois pas désagréable, dit-il. Personne a dit que t’en étais pas capable. Je demande, c’est tout. »

« Tous les vivants », C.E. Morgan, Gallimard, 19€. Traduit par Mathilde Bach. 

 

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